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Albert Camus, Correspondances, Centenaire

Célébrer le centenaire de la naissance de Camus, ce n'est pas rien. A cette occasion, outre les manifestations prévues à Lourmarin et Aix-en-Provence, [1] trois livres sont parus dans la collection Blanche de Gallimard sur la correspondance de Camus avec Louis Guilloux, le poète Francis Ponge et le prix Nobel Roger Martin du Gard. D'autres ont déjà été éditées comme celles consacrées au poète René Char, au dramaturge Michel Vinaver et à "son maître" Jean Grenier [2] dont vous trouverez dans la dernière partie les liens pour accéder à mes fiches de lecture sur ces trois correspondances.
 
  Le livre du centenaire de sa naissance, 2013
« Je marche du même pas comme artiste et comme homme. Révolte et absurde sont des notions profondément ancrées en moi, mais j'ai su en faire la critique. »
 
1- Correspondance Albert Camus, Roger Martin du Gard (1944-1958),
Édition de Claude Sicard, Collection Blanche, éditions Gallimard, 19 septembre 2013, 272 pages, Gencode : 9782070139255
Camus Gard.jpg  Albert Camus et Roger Martin du Gard
 

Grande amitié entre deux hommes très différents, une génération les sépare mais Camus remplit un certain vide que ressent Martin du Gard, écrivant à André Gide le 24 juin 1948: « Camus [...] est celui de sa génération qui donne le plus grand espoir. Celui qu’on peut ensemble admirer et aimer. » Une raison d'espérer de la littérature et dix ans plus tard, à la mort de son aîné, Camus note sobrement dans son Cahier : « On pouvait l’aimer, le respecter. Chagrin. »

 

Un respect qui confine à l'amitié entre les deux écrivains qu'on retrouve dans leur correspondance, partageant des valeurs communes, constamment au service de la paix, luttant contre l'injustice et la dignité de l'homme. Camus reconnaît et recherche la grande expérience de son aîné, la générosité d'un homme qui sait comprendre sans condamner et se méfie de « la fascination des idéologies partisanes» . Thème essentiel de "L'Homme révolté". Albert Camus est une lumière pour l'écrivain vieillissant et sceptique qui doute si souvent de lui-même, retrouvant dans les textes camusiens des thèmes comme la révolte ou la valeur de l'humaine nature qu'il développa naguère dans Jean Barois ou Les Thibault. On retrouve bien dans leur correspondance, cette chaleur, cette fraternité mélangée d'angoisse, de deux hommes qui se rejoignent dans une recherche constante de l'humanisme.

           

Camus-Martin du Gard      Camus-Louis Guilloux   Camus-Francis Ponge

 

2- Correspondance Albert Camus, Francis Ponge (1941-1957),
Édition de Jean-Marie Gleize, Collection Blanche, éditions Gallimard, 19 septembre 2013, 176 pages, Gencode : 9782070139279
                             Francis Ponge [3]                                Albert Camus

 

C'est le vieil ami algérois de Camus, Pascal Pia qui le présenta à Lyon le 17 janvier 1943 à un autre ce ses amis le poète Francis Ponge. Coïncidence, deux de leurs œuvres maîtresses, Le Parti pris des choses et L'Étranger, sont parues un peu plus tôt, pratiquement en même temps. Francis Ponge connaît déjà Le Mythe de Sisyphe qui fait écho à son propre questionnement sur le thème de l'absurde. Il se retrouvent ainsi sur une démarche parallèle même s'ils sont de tempérament très différent.

 

Cette amitié va surtout se traduire dans leurs "années de guerre" entre 1943 et 1945, moments privilégié pour réfléchir sur leur itinéraire littéraire et esthétique, même s'il évolueront un peu plus tard vers "l'objectivisme" pour Francis Ponge et vers l'univers poétique de René Char pour Albert Camus. Période d'autant plus importante pour Camus qu'il en profitera pour se fortifier des échanges de cette nouvelle amitié tout en reprenant un temps des forces dans un petit village de la Haute-Loire où il soignait sa tuberculose.

 

3- Correspondance Albert Camus, Louis Guilloux (1945-1959),

Édition d'Agnès Spiquel-Courdille,Collection Blanche, éditions Gallimard, 19 septembre 2013, 256 pages, Gencode : 9782070139262

   

Albert Camus et Louis Guilloux

« Je l'aime tendrement et 1952 je l'admire, non seulement pour son grand talent mais pour sa tenue dans la vie. » Louis Guilloux

 

C'est l'ami et maître d'Albert Camus, son ancien prof au lycée d'Alger Jean Grenier, qui lui a présenté son ami Louis Guilloux [4] chez Gallimard durant l’été 1945. Compréhension immédiate. Ils ont autant de différences que de points d'accord. Guilloux est un breton plutôt austère, habité par le doute alors que  Camus est un algérois, homme du sud recherchant la lumière.

Mais leurs affinités dominent les différences : « Je l'aime tendrement et je l'admire, écrira Guilloux en 1952, non seulement pour son grand talent, mais pour sa tenue dans la vie. » Ils ont connu tous les deux la pauvreté et la maladie, guidés par leur soif de justice, toujours du côté des des malheureux et des opprimés sans jamais s'inféoder à une idéologie, définissant leur conduite dans un moralisme qui leur est propre.

 

« Ils se sont attirés respectivement » constate Arnaud Flici, responsable du fonds Louis Guilloux. Journalistes pendant un temps, « influencés par les théoriciens russes de l'anarchie, (...) tous deux aspirent à un monde plus juste et plus fraternel » ajoute-t-il. De son côté, la fille de Louis Guilloux confie dans une interview : « J'avais 14 ans et demi quand j'ai connu Albert. On sortait à droite, à gauche, avec lui et mes parents. C'était très agréable. Plus tard, on a logé chez eux aussi à Paris. C'était vraiment comme de la famille. »

Leur longue correspondance d'une quinzaine d'années révèle une profonde affection, à travers une grande complicité ponctuée de nombreuses discussions, de promenades et de repas partagés. Elle fut marquée par le point d'orgue de la visite de Camus à Saint-Brieuc en 1947, durant laquelle le futur auteur du Premier Homme se rend pour la première fois sur la tombe de son père, enterré dans le carré des soldats de la Grande Guerre. [5] De la maison de Guilloux, on aperçoit le cimetière et, à cette occasion Camus retrouvera aussi son "mentor" Jean Grenier qui vit non loin d'ici. Les deux hommes partiront également sur les pas de Camus l'algérois en 1948 où, fait exceptionnel, Camus présentera le breton à sa mère restée à Alger et ils partageront tous les trois un repas.

 

Peu nombreux sont ceux qui, comme Louis Guilloux, pouvaient se permettre d'appeler le pudique Camus "vieux frère". Ils furent plutôt des "jokers" en politique, tentés dans leur jeunesse par le communisme. Quand Guilloux est à Paris, ils se voient presque chaque jour et il fera partie de ceux qui veilleront le cercueil de Camus, la nuit précédant son enterrement.  

 

La Correspondance comprenant 63 lettres permet de suivre leur amitié littéraire. C'est à cet ami que Camus soumettra le manuscrit de La Peste, lui soumettant de nombreuses modifications, preuve cette dédicace en forme de reconnaissance que Camus a écrite sur l'exemplaire qu'il lui a remis : « À Louis Guilloux, puisque tu as écrit ce livre en partie. Avec l'affection de ton vieux frère, A. Camus ».

 

À l'occasion de la réédition du roman de Guilloux La Maison du peuple, Camus écrira en 1948 une importante préface qui contient cette phrase que certains comme Sartre lui reprocheront : « Presque tous les écrivains français qui prétendent aujourd'hui parler au nom du prolétariat sont nés de parents aisés ou fortunés. ». Lien intime qui unissait si bien ceux qui leur correspondance s'appelaient « cher Albert » et « bon Louis  ».  

 

«Une bonne part de leur correspondance est consacrée à leur travail d'écrivain » écrit Agnès Spiquel-Courdille dans la préface de cette correspondance. Elle reprend cette phrase que Camus adresse à Guilloux à l'époque où il peinait à écrire La Peste : « Je ne connais personne qui sache faire vivre ses personnages comme tu le fais. »

 

Leur indéfectible amitié se retrouve bien dans la dédicace que Camus adresse à Guilloux en 1951, sur un exemplaire de L'Homme révolté : « pour toi, mon vieux Louis, ce livre dont tu es un des rares à savoir ce qu'il représente pour moi . Avec la fraternelle tendresse de ton vieux Camus ».

 

4- Exemple de lettres échangées

 

41 Louis Guilloux à Albert Camus - Lettre 20, 2 janvier 1947

Mon vieux,  

J'ai été bougrement content de ta lettre et j'y aurais répondu aussitôt sans ces sacrées fêtes de Noël, Nouvel An, vacances et autres chienlits au cours desquelles je n'ai pas été seul une minute? Je n'ai rien foutu depuis 15 jours, pas même touché le porte-plume? Juge donc si j'étais dans des dispositions à t'écrire. Si ma lecture de ton texte t'a été utile, c'est la meilleure fête qui soit. Envoie-moi des épreuves. J'avais bien vu naturellement le truc du narrateur, mais je me sentais tout de même un peu gêné je ne sais pas pourquoi. J'attends de voir le remaniement au dernier chapitre. Je suis entièrement d'accord avec ce livre et ces directions, comme je suis d'accord avec les articles de Combat. J'attends d'avoir achevé mon propre boulot pour me mettre à dire publiquement un certain nombre de choses. Jusque-là, motus.  

Que fais-tu? Donne des nouvelles! Francine est-elle partie pour l'Algérie? Comment vas-tu, et quand nous reverrons-nous? Je t'embrasse.  

Louis Guilloux  

 

Naturellement Charlot (Sans doute des manuscrits envoyés aux Éditions Charlot) qui devait m'envoyer des manuscrits à lire ne m'a rien envoyé; c'est dans l'ordre?  

 

42 Albert Camus à Louis Guilloux - Lettre 21, 15 janvier 1947

Cher Guilloux,  

Je pars demain pour Briançon (Camus part à Briançon en raison de sa santé. Sa famille est à Oran). J'ai passé une semaine abrutissante à m'occuper des affaires de Combat. Là-bas au moins je retrouverai un peu de solitude et de réflexion. J'en profiterai pour t'écrire autrement que de cette façon stupide. À moins que je ne réalise tout d'un coup ma fatigue et que je ne dorme pendant quinze jours.  

Affectueusement  

Camus

 

5- Voir aussi mes autres articles sur la correspondance de Camus

* Correspondance Albert Camus-René Char

* Correspondance Albert Camus-Jean Grenier

* Correspondance Albert Camus-Michel Vinaver

* Albert Camus : récapitulatif  de mes articles

 

Notes et références

[1] Lourmarin où Camus avait sa maison, où il est enterré et Aix-en-Provence, dépositaire du fonds Albert Camus

[2] Voir aussi ma fiche Albert Camus et Jean Grenier

[3] Voir ma fiche sur Le poète Francis Ponge

[4] Fils d'un cordonnier de Saint-Brieuc où il situera plusieurs de ses romans, Louis Guilloux (1899-1980) est l'auteur de La Maison du peuple (1927) et du Sang noir (1935), avec son héros le personnage de Cripure, fut un militant antifasciste et accompagna André Gide dans son voyage en URSS, avant de se détacher du communisme. Il fut Prix Renaudot 1949 pour Le Pain des rêves, le traducteur de Steinbeck, l'adaptateur des Thibault pour la télévision et un militant actif du Secours populaire.

[5] Blessé au début de la Grande guerre en 1914, son père Lucien Camus est évacué à l'hôpital de Saint-Brieuc où il meurt peu après alors qu'Albert a un an.

     <<<<< Christian Broussas, Feyzin, novembre 2013 © • cjb • © >>>>>

 



08/11/2013
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