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Yves Courrière : Camus et la guerre d’Algérie


Camus et la baie d'Alger

 

En cette fin d’année 1955, Albert Camus a « mal à l’Algérie. » Il est révolté contre tous ceux qui veulent séparer les deux communautés. [1] Depuis longtemps, «et l’un des premiers- il a dénoncé la grande injustice faite à la population musulmane en Algérie [2] puis l’engrenage attentat-crime- répression-responsabilité collective. Il a repris sa plume de journaliste comme éditorialiste à L’Express [3] qu’il tiendra de septembre 1955 à février 1956.

 

Ses amis restés sur place lui envoient des informations de première main et le, pressent de venir à Alger développer ses thèses fédéralistes. [4] Si la Gauche remporte les prochaines élections législatives, il pense qu’il pourra se présenter une ouverture –la dernière chance sans doute, compte tenu de toutes les occasions manquées- dans laquelle il faut à tout prix s’engouffrer. [5] Son diagnostic est tout à la fois sévère et lucide : « On ne peut donc rêver échec plus complet ni plus misérable. » [6] Ce sera finalement pour le 21 janvier 1956.

 

Dans cette ambiance surchauffée, Albert Camus voulait au moins faire passer ses idées de dialogue et de justice. Face aux menaces dont il est l’objet, à l’ambiance électrique instaurée par les ultras [7], la réunion se déroulera finalement au Cercle du progrès dans la basse Casbah. [8]  Mais c’est finalement Lebjaoui et Ouzegane au nom du FLN qui se chargeront du service d’ordre. Emmanuel Roblès préside la réunion, accompagné de Ferhat Abbas, Camus prend la parole tandis qu’à l’extérieur le tumulte st à son comble, concluant que « devant un tel échec, (celui des autorités françaises) son seul souci ne peut plus être que d’épargner à son pays un excès de souffrances. »

 

Paroles prémonitoires. Il propose, en son  nom et à celui de ses amis, une « trêve civile » [9] pour au moins éviter « le meurtre des innocents, » soulagé dans le fond  de l’absence d’incidents notoires. [10] Le lendemain, son entretien avec le gouverneur général Jacques Soustelle sera très décevant. Malgré tout, il écrit dans L’Express un dernier article politique qu’il intitule « Un pas en avant ». Mais ce petit pas n’est pas du goût du nouveau gouvernement et du nouveau résident Robert Lacoste qui vient de remplacer Soustelle

 

Dès lors, Albert Camus ne voudra plus ajouter au malheur des siens, pris entre « l’Algérie de la haine et la France de la démission. » Pire, ses amis du groupe des Libéraux seront menacés et Albert Camus reprendra la plume pour défendre l’ami Jean de Maisonseul accusé de subversion en mai 1956, qui bénéficiera d’un  non-lieu en juillet 1957. [11] Sa prédiction du 22 janvier 1956 « toute chance d’entente sera définitivement noyée dans le sang » n’allait pas tarder à se réaliser.

 

 

Quelques précisions

Quand Yves Courrière écrit que « les deux communautés vivent ensemble » il faut préciser « plutôt côte à côte, » ayant peu de rapports les unes avec les autres, que ce soit dans les grandes villes où les populations musulmanes vivent comme à Alger dans la Casbah ou dans les zones rurales où les européens vivent dans de petites villes, loin des gours et des mechtas.

 

Sur la biographie de Camus, sa famille paternelle ne venait pas d’Alsace comme on l’a cru pendant longtemps aux dires de camus lui-même mais plus probablement du Bordelais.

(voir à ce sujet Olivier Todd, "Albert Camus : une vie", Paris, Gallimard, coll. « NRF Biographies », 1999

Sur sa « tuberculose latente depuis 1930, » on peut affirmer qu’elle n’était latente qu’entre deux crises et que Camus souffrit de graves rechutes au moins en trois occasions, en 1939-40 où il dut venir d’Oran se reposer au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, après la parution de L’Homme révolté en 1951-52 où il fut forcé une nouvelle fois de se reposer en Provence puis dans les Vosges et pendant le voyage qu’il entreprit au Brésil en 1949, d’où il revint à bout de forces.

 

Quant  à la « fameuse » citation où Camus met en balance sa mère et la justice, « entre la justice et ma mère, je préfère ma mère, » elle est la plupart du temps tronquée, Camus faisant référence aux attentats, instruments d’une certaine justice du sang et de l’horreur (il était à cette occasion apostrophé par un jeune membre du FLN) Il avait aussi sans doute intégré ces images de l’attentat aveugle à la bombe qui eut lieu à quelques dizaines de mètres du domicile de sa mère à Alger et à qui il était allé rendre visite. 

 

 

Notes et références

[1] Qui cohabitent plutôt qu’elles « vivent ensemble » NDLR

[2] Voir son livre compilation Actuelles III sous titré Les Chroniques algériennes

[3] Voir ma présentation des Cahiers Albert Camus présentant ces différents articles

[4] Lettre à son ami Poncet du 25 septembre 1955, page 610-611

[5] Lettre à son ami Poncet du 07 décembre 1955

[6]  Art de L’Express du 16 décembre 1955

[7] Notamment, le groupe d’Ortiz, les poujadistes de Goutaillier, l’UFNA de Boyer-Bansé, Achiary…

[8] Ils seront accueillis aux cris de « Camus au poteau, Mendès-France au poteau »

[9] On peut trouver le texte intégral sur la trêve civile en annexe pages 930-932

[10] Voir la lettre à son ami Charles Poncet du 29 janvier 1956, pages 624-625

[11] Lettre publiée dans le journal Le Monde e et reprise dans son ouvrage Actuelles III

 

Voir aussi

* Yves Courrière : La guerre d'Algérie

   <<<<<< Christian Broussas - Feyzin - 16 juillet 2013 - © • cjb • © >>>>>>>>

 



16/07/2013
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