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André Malraux, une jeunesse

Évoquer la vie d’André Malraux n’est pas sans difficultés, lui pour qui toute biographie n’était « qu’un misérable petit tas de secrets. » S’il naît un 3 novembre 1901 au pied de la butte Montmartre, [1] il est aussi du Nord et, quand il ira passer ses vacances à Dunkerque dans sa famille paternelle, il écoutera fasciné les récits épiques du grand-père Alphonse, homme hors du commun qui mourra accidentellement en 1909 d’un coup de hache  en fendant du bois.

 

Il n’est guère du genre à sa bercer de souvenirs, de nostalgie, et préfère l’action. Mauvais souvenirs d’enfance en tout cas puisqu’il écrira : « Je n’aime pas ma jeunesse… C’est un sentiment qui vous tire en arrière. Je n’ai pas eu d’enfance. » Perception qu’il réitère bien plus tard dans Les Antimémoires où il confirme « presque tous les écrivains que je connais aiment leur enfance. Je déteste la mienne. » Il faut souligner qu'il sera toute sa vie affligé de tics qui s'atténueront pendant une période pour s'accentuer avec l'âge, trouble neurologique héréditaire appelé Maladie de Gilles de la Tourette.

 

              

Malraux à l'âge de 13 ans (à droite)             à l'âge de 28-30 ans

 

Son père Fernand est un homme fantasque, un personnage à la Maupassant, au physique tout au moins, avec ses sourcils haut perchés, sa belle moustache Second Empire et des yeux d’une si grande douceur. Mais il est surtout une espèce de « professeur Nimbus, » inventeur de tout et de rien, et aussi comme André écrira dans La Voie royale « de porte-cravates, de démarreurs, de brise-jet. » La mère d’André, Berthe Lamy, une grande brune fine et cultivée, est vite fatiguée de ce bellâtre qui la trompe ouvertement. Ils se séparent quand André atteint ses quatre ans et elle repart alors avec son fils chez sa mère qui tient une petite épicerie à Bondy. Le jeune André vit là au 16 du quai de la gare, entouré de sa mère Berthe, de sa grand-mère Adrienne Lamy-Romagna et de la tante Marie. Il étouffe quelque peu entre les trois femmes et les week-ends avec son père sont autant de fêtes teintées d’admiration pour cet homme champion du paraître. A 6 ans, André a déjà le front soucieux barré de sa célèbre mèche de cheveux, l’air grave qui tranche avec ses grandes oreilles décollées.

 

Quelques années plus tard, avec ses cheveux de jais, son teint mat et son œil sombre, ses camarades du lycée Turgot [2] l’appelleront "L’Espagnol". Il vit une période d'insouciance pendant laquelle il fréquente beaucoup les bouquinistes, les salles de cinéma, de théâtre, d'expositions, de concerts... inaugurant ce qui deviendra une passion pour la littérature contemporaine. A 13 ans, le jeune adolescent est rattrapé par la guerre. La nuit il distingue l’écho du canon dans le lointain et le jour, ce seront bientôt les taxis de la Marne qui défileront sur la route voisine.

 

Le soir du 10 novembre 1918, alors qu’il se balade dans le quartier des Pyramides, il apprend ainsi la fin de la guerre : « Dans la rue, on s’embrassait, on s’interpelait, on s’étreignait. Je sors du métro à la station Louvre. Un type m’aborde, me barrant résolument la route : "Il est signé," s’écrit-il. » Trop jeune pour avoir été mobilisé, il contemple avec désespoir la génération des sacrifiés, les éclopés et les gazés qu’il rencontre. Il écrira plus tard « nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. » Sans doute puise-t-il dans la vision de cette période son goût pour l’étude des civilisations.

 

Pour l’instant et à titre personnel, il en tire une double conclusion. D’abord dans le sillage de Nietzsche, il pense que la civilisation occidentale est à réinventer, ses valeurs ont été englouties dans l’auto destruction généralisée. [3] Ensuite, il en tire une morale directement applicable qu’il résume ainsi : « Entre 18 et 20 ans, la vie est comme un marché où l’on achète des valeurs, non avec de l’argent, mais avec des actes. » [4] Et il la met en application, passe aux actes.

 Acte I : renoncer au bac, renoncer aux études, rejeter « les valeurs de considération ». Il sera un autodidacte.

Acte II : être indépendant. Ainsi commence sa rencontre avec les livres : dénicheur d’éditions rares –et il a du flaire- pour le libraire René-Louis Doyon dit le Mandarin qui le présentera à Max Jacob puis, dans sa nouvelle revue La Connaissance, lui permettra de publier son premier texte sur « Les origines de la poésie cubiste » où l’on trouve déjà son art consommé des formules.

 

    

Clara et André en Indochine en 1923            André en uniforme

 

Maurice Sachs sera séduit par l'allure, l'assurance de ce jeune homme : « J’ai rencontré Malraux. Il produit la plus vive impression. Il a dans le regard un air d’aventure, de mélancolie et de décision irrésistible, un beau profil d’homme de la Renaissance italienne, une apparence très française au demeurant… Il parle très vite, très bien, a l’air de tout savoir, éblouit à coup sûr et vous laisse sur l’impression d’avoir rencontré l’homme le plus intelligent du siècle. »

Dans Les Antimémoires, avec le recul de l’homme mûr, il porte un œil sans concession sur une jeunesse dont il avoue « j’ai peu et mal appris à me créer moi-même, si se créer c’est s’accommoder de cette auberge sans routes qui s’appelle la vie… Je ne m’intéresse guère. »  Son expérience va peu à peu rejoindre sa réflexion sur l’art, « la victoire de chaque artiste sur sa servitude rejoint, dans un immense déploiement, celle de l’art sur le destin de l’humanité. L’art est un anti destin, » écrira-t-il en 1951 dans Les Voix du silence

 

André Malraux, alors Ministre de la Culture, et sa femme Marie-Madeleine Lioux (Madeleine Malraux), dans les années 1960, juste avant un embarquement sur un vol Air France pour Montréal. (©AFP)

André Malraux, ministre de la Culture, et sa femme Marie-Madeleine Lioux (Madeleine Malraux), dans les années 1960 (©AFP)

 

Notes et références

[1) Naissance de André Georges Malraux à Paris le 3 novembre, rue Damrémont, dans le XVIIIe, fils de Fernand Malraux et de Berthe Lamy

[2] Lycée Turgot appelé alors École supérieure de la rue Turbigo

[3] « Europe, grand cimetière où ne dorment que des conquérants morts,…  tu ne laisses autour de moi qu’un horizon nu et le miroir qu’apporte le désespoir, vieux maître de solitude, » a-t-il aussi écrit sur cette période.

[4] C'est Julien Green rapporte dans son journal cette confidence de Malraux

 

Voir aussi

* André Malraux, la création d’un destin, découverte Gallimard, 1987, isbn 2-07-053029-9

* Malraux, biographie détaillée et site Alalettre

* Dans la même collection Charles Baudelaire, Une jeunesse et Portrait de Michel Houellebecq

* Jean Lacouture, "André Malraux, une vie dans le siècle", Prix aujourd'hui, Le Seuil, 1973 ; coll. Points Histoire, 1976 et "Malraux : itinéraire d'un destin flamboyant, entretiens avec Karin Müller, A. Versaille éditeur, 2008, ISBN 978-2874950056

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01/07/2013
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