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Histoire


Révoltes et bonnets rouges

La révolte des bonnets rouges rappelle les révoltes sporadiques  sous l’ancien régime quand le peuple se soulevait soudainement, laissant éclater sa colère contre le pouvoir royal, appelant souvent à une émeute fiscale, à se soulever contre le diktat royal en matière d’impôts.

 

1- la révolte des Maillotins

Ces révoltes sans lendemain furent assez nombreuses et les plus importantes sont restées dans l’histoire. Pendant la guerre de Cent Ans, une taxe mal venue provoque à Paris la révolte des Maillotins après d’autres incidents graves comme la révolte des «Tuchins» en Languedoc et celle des «Hardelles» à Rouen.

La révolte des Maillotins, caricature

 

Le 1er mars 1382, les bourgeois de Paris, marchands, artisans et notables, s'assemblent et prennent à parti les agents du fisc : c'est le début de la révolte des « Maillotins », la plus importante des révoltes fiscales qui a marqué la fin du Moyen Âge en France. Ils s'emparent de l'Arsenal et de l'Hôtel de ville dans lequel ils s’emparent de quelque deux mille maillets de plomb entreposés comme munitions, d'où leur surnom de «Maillotins.») Ils envahissent les rues de la capitale, s'en prennent aux juifs et aux percepteurs. Le roi Charles VI étant mineur, ce sont ses oncles Louis d'Anjou, Jean de Berry, Louis de Bourbon et Philippe de Bourgogne qui assurent la régence et en profitent pour lever de nouveaux impôts comme cette nouvelle taxe sur les comestibles concoctée par le duc d'Anjou. Dans un premier temps, le pouvoir recule mais après la victoire de Rosebeck et l’entrée du roi à Paris, les impôts sont rétablis et la répression sera violente, la plupart des « meneurs » seront pendus. [1]

       

La révolte des Maillotins, miniature du XVe siècle

 

2- la révolte des Cabochiens

Un peu plus tard, la révolte des Cabochiens est désamorcée par le roi Charles VI qui va jusqu’à coiffer le capuchon des insurgés avant de se retourner contre eux et leur protecteur, le duc de Bourgogne. Le 27 avril 1413, les artisans et bourgeois de Paris se soulèvent à l'appel du duc de Bourgogne Jean sans Peur. Ceci va provoquer une guerre civile et la reprise de l'invasion anglaise qui verra les troupes françaises écrasées à Azincourt deux ans plus tard. Le meneur est l'écorcheur Simon Caboche (d’où le nom donné à cette révolte), et avec ses partisans et ceux du duc Jean, ils attaquent la Bastille (déjà !) où s'est retranché le prévôt de Paris Pierre des Essarts qui sera finalement exécuté.

 

Début août 1413, les cabochiens sont exterminés, le duc Jean s’enfuit, les nouveaux maîtres sont le parti des Armagnacs. Le nouveau maître de Paris le comte Bernard VII est nommé connétable par la reine Isabeau de Bavière et en septembre 1413, il s'empresse d'annuler « les ordonnances cabochiennes ».

La révolte des cabochiens, par Martial d'Auvergne, enluminure, XVe siècle, Vigiles de Charles VII, Paris

La révolte des Cabochiens, enluminure du XVè siècle, Martial d'Auvergne

 

3- Révoltes et refus de l'impôt

Les deux exemples précédents l’attestent, le refus de l'impôt représente une grave menace pour un pouvoir politique qui n’a généralement le choix qu’entre la répression ou la démission. Au XVIIe siècle, après la période noire des guerres de religion qui perdurent de façon sporadiques pendant une partie du règne de Louis XIII, tandis que ses deux ministres Richelieu et Mazarin renforcent son autorité, les révoltes fiscales sont une réponse à la misère sociale et aux inégalités criantes qui ont tendance à croître. Tels sont le cas des Croquants du Périgord ou aussi les Nu-pieds de Normandie qui n’inspirent que du sarcasme à la classe dirigeante. Le roi fort de ses forces de répression et de sa légitimité, ne saurait prendre en compte ces revendications, c’eut été déchoir que de discuter avec eux, et réprime sans pitié ces mouvements. La dernière et  grande révolte fiscale du siècle, la révolte des Bonnets rouges sera réprimée de la même manière que les précédentes.

La Révolte Des Croquants - Les Chefs Des Révoltes Populaires Dans Le Périgord Du Xviie Siècle de Jacques Dubourg                          

Révolte des Croquants, Périgord, XVIIè siècle             "Jacquou-le-Croquant"

 

Par contre, pendant le règne de Louis XVI, la situation est bien différente, la monarchie est confrontée à des difficultés grandissantes, placée sous la coupe de puissants financiers qui collectent l’impôt par l’intermédiaire de la Ferme générale. Quand un homme comme Turgo, contrôleur général des finances, prend des mesures énergiques et se résout à faire exécuter deux jeunes meneurs lors de la guerre des farines, il est désavoué par les libéraux et le roi, doit démissionner et les réformes indispensables sont ainsi renvoyées aux calendes grecques.

La Révolution eut cette vertu de légitimer le recours à l’impôt, d’en faire une « ardente obligation » civique, tendance qui se poursuivra sous la République, la monarchie ou l'Empire, liant l’impôt à la pratique démocratique du recours à des élections et à des plébiscites. Beaucoup plus près de nus en 1956, un papetier de Saint-Céré dans le Lot, nommé Pierre Poujade lance un appel à la grève de l’impôt, réaction contre un zèle jugé excessif des contrôleurs du fisc qui avaient tendance à plutôt cibler leurs contrôles sur les petits commerçants. La constitution d’un groupe parlementaire « poujadiste » sera l’issue politique de ce mouvement qui va grandement contribuer à miner les institutions de la IVe République qui n’avait pas besoin de ça.

 

      

Affiche poujadiste                                                    Recettes fiscales du tabac 2012

 

4- La révolte des bonnets rouges    

Violente révolte antifiscale à l’époque de Louis XIV –tout n’était pas rose sous la férule du roi-*soleil- elle débute le 18 avril 1675 en Bretagne (déjà) à Rennes quand une foule en colère détruit les bureaux du fisc, défilant dans les rues de la ville au cri de : «Vive le Roi… sans gabelle et sans édits.» Elle va s’étendre très rapidement à une grande partie de la Bretagne, surtout la Basse Bretagne constituée du pays bigouden et la région de Quimper. C’est ce mouvement qu’on a appelé la révolte des Bonnets rouges ou encore la révolte du papier timbré en référence à l'impôt incriminé.

              Exemplaire de papier avec timbre fiscal de Bretagne

Clocher arasé de  l'église de Languivoa           Papier avec timbre fiscal de Bretagne

 

En 1672, Louis XIV se lance dans la guerre de Hollande, (curieux clin d’œil de l’histoire) guerre étant très souvent synonyme de nouvelles taxes. Les actes judiciaires et notariaux seront désormais rédigés obligatoirement sur papier timbré aux fleurs de lys, mesure assortie du paiement d’une taxe par feuille rédigée. Cette décision est accompagnée d’autres mesures comme la taxe sur chaque livre de tabac ou le marquage des pièces d'étain, pour augmenter encore un peu plus la grogne populaire. Devant le tollé suscité par ces mesures fiscales, les parlements régionaux temporisent, celui de Bordeaux, le plus touché au départ, suspend même l’application des nouvelles taxes.

L'« émotion populaire » comme la nomme le gouverneur de la ville de Nantes qui manifeste ses préoccupations auprès du secrétaire d'État à la guerre Louvois, grandit de jour en jour. La Bretagne est en effervescence, Nantes, Rennes et Saint-Malo en particulier sont touchées par le mouvement.

La campagne bretonne est touchée à son tour, les pays de Carhaix et de Rohan surtout, où les paysans conduits par un notaire de Kergloff près de Carhaix Sébastien Le Balp, visent les seigneurs, brûlent châteaux et manoirs et sèment la terreur dans la campagne. Mais en septembre 1675, le meneur Le Balp est tué par le marquis de Montgaillard, à Thymeur près de Carhaix. Sans chef, la révolte est désemparée et dès lors vouée à disparaître. Le duc de Chaulnes se fait le champion d’une féroce répression, aidé par des renforts envoyés par le ministre Louvois.  

 

Les forces royales s’en prennent aux révoltés, procèdent à de nombreuses pendaisons sans autre forme de procès, mais aussi aux biens, aux monuments, aux clochers d’églises qui ont soutenues la révolte et qui  sont arasés comme celui de Languivoa sur la commune de Plonéour-Lanvern et sont encore dans cet état aujourd’hui, à Rennes où une partie du quartier de la rue Haute est rasée et le Parlement, coupable d’avoir soutenu les rebelles, exilé à Vannes. On ne peut s’empêcher de penser que la sympathie des habitants de la région de Carhaix pour la Révolution -dans une Bretagne à forte implantation catholique et royaliste- n’est pas étrangère à la révolte des bonnets rouges et à la répression qui s’est ensuite abattue sur la région et a fortement impacté les mentalités.

 

Bonnets rouges 2.jpg        
Couverture de la BD et du livre de Borderie & Boris Porchnev

 

5- De la Ferme générale aux accords d’état

En 2013, les portiques d'écotaxe rappellent les barrières d'octroi de l’ancien régime qui entravaient la liberté de circulation des biens et des marchandises. Le recours à une société privée pour sa gestion rappelle désagréablement le fonctionnement de la Ferme générale. Par ce moyen et comme au XVIIe siècle, l'État a choisi de déléguer à des financiers la gestion d’importants investissements publics. La méthode n’est pas nouvelle puisque dès le début des années 2000 pour prendre un exemple récent, l'État avait déjà confié, par l’intermédiaire d’un système de concession à des sociétés privées, la gestion des péages d'autoroutes et de parkings ou celle d'infrastructures publiques comme les hôpitaux et les prisons. Le problème est que les principes du libéralisme, si souvent mis en avant, sont bafoués, les rentes publiques étant moins risquées pour le capital. Pour cette raison, les détenteurs du capital préfèrent de plus en plus développer des accords de partenariat avec l’état.

 

Avec la crise actuelle et l'instauration de la monnaie unique qui prive les pouvoirs publics des mécanismes de régulation monétaire, l'État est contraint de s'endetter pour maintenir un minimum de paix sociale, en recourant par exemple à différents types d’emplois aidés, les capitalistes utilisant alors plus volontiers les avantages de la rente publique qui génère un coût supplémentaire pour les citoyens soumis à des impôts de plus en plus lourds.

 

Dans ces conditions, on peut se demander si certains concepts, certains mécanismes comme la monnaie unique ne sont pas à terme menacés et si les responsables politiques ont pris toute la mesure de conséquences de la mondialisation. La "crise" se prolonge et s'accentue au point de mettre en difficulté des pans entiers de l'économie qui subissent un déclin drastique comme l'industrie et de l'agro-alimentaire français mis à mal par la puissance de pays émergents, le recours à de la main-d'œuvre immigrée, populations très pauvres et sans formation venues de pays sous-développés qui posent des problèmes d'intégration. Parallèlement, on constate une émigration d’une partie des « forces vives de la nation » fortement diplômées, attirées dans d'autres pays riches par de meilleures conditions de vie et de revenus.

Scénario pessimiste s’il en est, qu’il faut toutefois ne pas écarter comme irréaliste si les tendances actuelles perdurent avant que les responsables politiques ne prennent la mesure de la situation. L'histoire de France est pleine de scénarios pour qui veut en tirer des enseignements profiteurs.

 

Manifestations contre l'écotaxe

 

6- Comment l'extrême-droite profite du bonnet rouge

Ce titre du journal Libération [2] fait écho au logo du bonnet rouge, assorti du slogan « Non à l'injustice fiscale, » affiché par Marine Le Pen sur son compte Twitter, aux photos de Jean-Marie Le Pen coiffé d’un bonnet rouge ou du journal d’extrême droite Minute affichant : « Un abonnement acheté, un bonnet rouge 100% fait en France offert. » Le maire de Carhaix Christian Troadec a beau préciser que « l’extrême-droite n’a pas sa place parmi les bonnets rouges », trop tard, le mal est fait et le ministre de l’intérieur Manuel Vals a beau jeu de s’élever contre ceux qui ont « voulu utiliser le mouvement breton. Il y avait des bonnets rouges mais pas de Bretons, il n’y avait pas de salariés qui se battent pour l’avenir de leur entreprise, non il y avait des militants qui voulaient s’en prendre aux valeurs de la République », faisant référence aux manifestants qui s’étaient réunis à l’appel du « Printemps français » contre le mariage homosexuel, et « de groupes d’extrême droite, dont le Renouveau français. »  

 

           Bonnets rouges soutenez.jpg bonnets-rouges

Le Pen, bonnet rouge et drapeau tricolore   Ironique : Soutenez les bonnets rouges bretons !

 

Ceci traduit la capacité croissante des mouvements de droite à stimuler et récupérer ces contestations. Quand émerge une peur, une colère sociale, la droite essaie de lui donner un sens et d’en tirer un bénéfice politique. Depuis la « Manif pour tous, » elle a perfectionné ses méthodes d’intervention et sait désormais comment canaliser une population qui exprime une demande de sécurité, d’autorité ou d’identité, comment flatter des groupes, même si leurs intérêts matériels sont différents.

Laisser perdurer ce genre de situation signifie que la politique pourrait se faire dans la rue et non autour d’une table de négociation, lieu de recherche de consensus pour une meilleure cohésion sociale.

 

Annexe - Madame de Sévigné et les bonnets rouges

Le 3 juillet 1675, Madame de Sévigné écrit à sa fille avec sa morgue d'aristocrate : « On dit qu'il y a cinq cents ou six cents bonnets bleus (!) en Basse-Bretagne qui auraient bien besoin d'être pendus pour leur apprendre à parler ».

Quand plus tard le 24 septembre 1675, madame la Marquise se rend en son château de Vitré, lui vient un faux air de compassion tardive qu'elle transcrit 'in petto' dans une nouvelle lettre à sa fille : « Nos pauvres bas-Bretons, à ce que je viens d’apprendre, s’attroupent quarante, cinquante, par les champs, et dès qu’ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea-culpa. C’est le seul mot de français qu’ils sachent…»

Sa façon d'écrire l'histoire sans doute... mais qui en dit long sur la mentalité de l'aristocratie de cour à cette époque et sur la coupure entre le pouvoir et le peuple.

 

Notes et référence

[1] D’autres révoltes auront aussi lieu en Europe à la même époque, dont on peut retenir :

– En Angleterre, les paysans se révoltent en 1381 sous l'égide de Wat Tyler et menacent la monarchie.
– En Flandre, sous la conduite de Philip Van Artevelde, les tisserands de Gand se soulèvent en 1382 contre le comte de Flandre et ses soutiens français.
– En Hongrie, sous le règne du roi Sigismond, les paysans se révoltent contre les grands féodaux. Battus, ils retournent au servage... et se vengent en refusant leur concours aux seigneurs lorsque la Hongrie est envahie par les Turcs.

[2] Voir aussi l'article du journal Le Monde : "Comment la 'droitosphère' a récupéré le mouvement breton"

 

Bibliographie

* Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, 2 tomes, Le Seuil, 2005 et "Les bonnets rouges en 1675"

* François Hincker, Les Français devant l'impôt sous l'ancien régime, Flammarion, 1971

* Les soulèvements populaires en France au XVIIè siècle, Boris Porchnev, Flammarion, 417 pages, 1978

 

          <<<<< Christian Broussas, Feyzin, novembre 2013 © • cjb • © >>>>>


15/11/2013
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Les routes de la soie, première mondialisation

Au rythme des routes de la soie

 

 L’Ange de Tobie, du peintre Hossein Naqqâsh, Ecole moghole, vers 1590, Musée Guimet, Paris

 

La soie serait-elle le symbole de la première mondialisation ? Il faut remonter en tout cas à quelque trois millénaires pour retrouver en Orient les premiers procédés de fabrication puis la fascination occidentale pour ce tissu qui, par la fameuse route de la soie, signe la première forme de mondialisation. Longue chaîne entre la Méditerranée et la Chine, l'Orient et l'Occident.

 

Cette route baptisée de la soie en 1877, comme souvent le commerce, a été une époque importante pour rapprocher orient et occident. De la Chine aux grands ports italiens, les caravanes traçaient les circuits commerciaux, d’abord par les 8.000 kilomètres de pistes dans les steppes puis par des routes maritimes.

 

La tradition veut qu’une impératrice chinoise douillettement installée sur un mûrier  vit choir dans sa tasse de thé… un cocon. Curieuse de nature, elle voulut retirer l’intrus mais elle dut finalement enrouler le fil qu’elle en avait extrait sur une bobine. Son époux l’empereur, mis au courant de la découverte, décida d’organiser l’omerta sur ce secret d’état. Ce nouveau produit fut baptisé sseu… qui donna ensuite en latin serica, le mot soie en français.

 

La diffusion des échanges est essentiellement due à Alexandre le Grand qui encouragea le transport des marchandises, surtout par le peuple des Scythes habitant entre l'Ukraine et la Mongolie et plus au sud par la Voie royale due au départ à Darius Ier mais sa mort en 323 av.J.-C. mit un terme à ce développement économique.

Zhang Qian après Alexandre le Grand… et avant les Romains

Sur ordre de l’empereur chinois WouTi, Zhang Qian partit en 138 av.J-C. pour l’Asie centrale puis chez les Xiongnu. Sa grande aventure lui permit d’ouvrir une nouvelle route pour relier la Chine à l’Asie centrale, les « trente-six royaumes des Régions occidentales. »

Déjà l'historien Pline l'ancien écrivait dans son Histoire naturelle, VI, 20 : « Les Sères - Chinois - sont célèbres pour la substance laineuse tirée de leurs forêts ; après les avoir trempées dans l'eau, ils peignent le duvet blanc des feuilles… » Et Sénèque surenchérira en parlant « d’une matière qui ne cache pas le corps. » Rome est alors fascinée par cette matière encore mystérieuse en occident dont semble-t-il les survivants de la défaite de Carrhes en 53 av.J.-C. ont admiré la beauté de ce tissu qui ornait les bannières des Parthes. Et justement, ce n’est pas les Chinois mais les Parthes, grands commerçants, qui vont vendre cette soie tant convoitée tout en conservant le monopole de son commercialisation… même après que l’empereur Tibère eut interdit son commerce sous prétexte de décadence !

   

Dômes bleus de la citadelle de Khiva, le              Rajasthan, palais Havelî

minaret Khodja, étape sur la route de la soie

 

L’hégémonie mongole

Le Proche-Orient, Palmyre en particulier, sert de plaque tournante entre orient et occident et, après l’effacement des Parthes au IIIe siècle de notre ère, c’est l’Asie centrale et Samarcande qui prendra le relai en dominant les itinéraires caravaniers.  Mais au VIIIe siècle, Arabes et Mongols vont saper leur pouvoir et s’imposer dans ce commerce fructueux basé, outre la soie, sur les fourrures, l’ambre balte, la vaisselle d’argent ou les riches tissus qui protègent et décorent les reliques des églises.

 

Pendant près de deux siècles, du XIe au XIIIe siècle,  la route de la soie connue insécurité et déclin, les Haschischins attaquant constamment les caravanes mais les Mongols, Gengis Khan et ses successeurs, maîtres de la région, vont la sécuriser et, s’ouvrirent à des européens comme le vénicien Marco Polo. En Europe, c’est Venise la Sérénissime République qui contrôle le marché et va peu à peu remonter en Asie à la source de la production. Sur le plan politique, on assiste à une redistribution des cartes, l’émergence de l’Empire ottoman au Proche-Orient, l’effacement de la Chine de la dynastie des Ming qui se replie sur elle-même et au XIVe siècle, elle refuse même tout commerce avec l’occident. Ces évolutions vont permettre à l’occident de battre en crèche le monopole chinois.

 

   

Routes de la soie en Chine                                     

L’extension de la production en Europe

Pour les européens, la tentation est grande de contourner le monopole, d’acquérir  l’or et les épices en passant par la route maritime des épices pour remplacer la route de la soie, surtout depuis que le secret de sa fabrication a gagné l’Occident. En 552, on a offert à l’empereur Justinien à Constantinople des cocons de ver à soie vraisemblablement volés aux Chinois. La sériciculture s’est d’abord développée en Perse et va gagner l’Italie et la France. Dans ce dernier pays, les rois Louis XI et François Ier, pour éviter les importations, encouragent la création d'ateliers de tissage à Tours et à Lyon. Un peu plus tard vers 1600, le roi Henri IV et son ministre Sully vont initier une véritable politique de production à Lyon et dans la vallée du Rhône, confiée à l'agronome Olivier de Serres.

Les changements d’orientation

Ce n’est qu’au XIXe siècle pour que les pays occidentaux se préoccupent de l'Asie centrale. Pour endiguer l’expansionnisme russe, les occidentaux  veulent créer des zones tampon dans les steppes kazakhes et montagnes afghanes, d’autant que la Révolution russe change peu de choses, s’imposant aux populations musulmanes d'Asie centrale, Lénine déclarant par exemple « L'Orient nous aidera à conquérir l'Occident, » ! ce qui ne rassure vraiment personne. [1]

Au début du XXe siècle, la route de la soie n’est plus d’actualité, on redécouvre les anciennes civilisations qui vont aboutir sur une concurrence acharnée en antiquités, en archéologie Les exemples sont nombreux, à commencer par la découverte en 1890 de feuillets d'écorce de bouleau rédigés en sanskrit au Ve siècle, les manuscrits Bower. [2]

Ces opportunités vont se raréfier après la Première guerre mondiale et les changements géopolitiques qu’il a entraînés et il faudra 1991 et l'indépendance des républiques socialistes pour que la fameuse route de la soie soit de nouveau accessible. Elle est  largement devenue une destination touristique qui devrait se concrétiser avec le grand projet d'autoroute reliant la Chine et la Russie, via le Kazakhstan qui devrait en même temps désenclaver toute ces régions.

Mur affiche dans l'Ouzbékistan                     Caravansérail de Sultanhani, Turquie

 

Notes et références

[1] Voir le roman intitulé "Kim" de Ruyard Kipling

[2] Parmi les principales découvertes, on peut citer : la redécouverte des villes anciennes du Turkestan par l’Anglais Aurel Stein, la mise à jour des antiquités de l'oasis de Turpan en Chine par l’Allemand Albert von Le Coq, le décodage des manuscrits dans les grottes de Dunhuang par le Français Paul Pelliot

 

Sources bibliographiques

* La Route de la Soie, éditions Gallimard, Bibliothèque du voyageur, 2010.
* Jean-Pierre Drège, Marco Polo et la Route de la Soie, éditions Gallimard, Découvertes n°53, 1989.
* François Pernot, Les Routes de la Soie, éditions Arthémis, 2001.
* Jean-Paul Roux, L'Asie centrale. Histoire et civilisation, éditions Fayard, 1997

* Sur les traces de Marco Polo : de Venise à Pékin, Yamashita Solar, Paris, 2003
* Le livre des merveilles, Marco Polo, Larousse, Paris, 2000
* Route de la soie, De XI'AN à KASHGAR ,Judy Bonavia, Guides Olizane Olizane, Genève, 2002

 

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27/09/2013
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Yves Courrière La Guerre d’Algérie

  Yves Courrière

Référence : Yves Courrière, "Les fils de la Toussaint" et "Le temps des léopards"

 

La Toussaint 1954 marque ce qui deviendra vite la guerre d’Algérie, « pacification » à la française. Mouvement voulu, préparé et réalisé par une poignée d’Algériens dirigés par les six dirigeants historiques chapeautés par Mohammed Boudiaf. [1]

 

Ce sont des hommes écœurés par l’attentisme des autorités françaises qui ne font rien, [2] ne veulent mettre en place aucune réforme, même celles qui ont été votées comme le statut de 1947 sur la réforme des institutions comme la suppression des communes mixtes et une meilleure représentation des populations musulmanes. Des hommes également écœurés par les querelles stériles entre les messalistes, les partisans du vieux leader Messali Hadj, et le courant Lahouhel qui joue encore la carte de l’intégration. Pas vraiment d’intellectuels dans ce mouvement, c’est surtout les régions le plus défavorisées qui sont à la pointe du mouvement, l’est du pays, le constantinois, surtout la Kabylie et les Aurès, zones très pauvres et très difficiles d’accès, des gens fiers et, des nationalistes comme les Kalyles et les Chaouïas. [3]

 

   

Les fils de la Toussaint et Le temps des léopards

 

La Toussaint 1954 est importante pas tant par la puissance des attentats qui ont fait peu de dégâts que par l’impact psychologique des actions, le fait que les attentats même modestes, ont eu lieu dans tout le pays, ce qui prouve une organisation centralisée, implantée dans toutes les régions et capable de lancer des actions coordonnées dans tout le pays. . [4]

De quoi frapper les imaginations et inquiéter la communauté pied-noire. C’est aussi la naissance d’un mouvement qui, après s’être appelé au tout début le CRUA, prend le nom de FLN, Front de libération nationale, aidée de son fer de lance l’ALN, l’armée de libération nationale. [4 bis]

 

Les "Ultras" vont vouloir exploiter ces attentats sans grande portée, « vous voyez qu’il faut les serrer, note Vaujour le patron de la police, ironique, les tenir. Alors n’attendez pas, arrêtez tous ces nationalistes. On n’est pas protégé. » Les "gros bonnets ", le sénateur Henri Borgeaud, le richissime Laurent Schiaffino ou le directeur de l’Écho d’Alger Alain de Sérigny n’auront de cesse de verser de l’huile sur le feu. Suit une première répression qui s’abat sur les membres du MTLD qui n’y sont pour rien. Le Gouvernement général est, écrit Yves Courrière « cette hydre qui fait la pluie et le beau temps, centralise tout, freine, s’enlise dans des tonnes de papier… »

 

Dans cette situation, même le gouverneur général Jacques Soustelle qui a remplacé Roger Léonard, est écartelé entre les colons ultras qui parlent uniquement répression et les coups de boutoir du FLN qui virent parfois à la révolte aveugle et meurtrière ou aux massacres comme dans la constantinois le 20 août 1955. Le rapprochement entre les propositions de Soustelle et celle d’un homme comme Ferhat Abbas [5] aura fait long feu après ce 20 août où les eux chefs du Constantinois Zighout et Ben Tobbal lancent une foule fanatisée contre les européens, action qui se solde par une vaste tuerie et une féroce vengeance. (71 morts européens et plusieurs milliers de morts du côté musulman)

 

Jacques Soustelle qui a déjà perdu ses collaborateurs de gauche –Juillet, Vincent Monteil et Germaine Tillion ont démissionné- fait semblant de croire à son plan de pacification basé sur l’intégration et la reconnaissance d’une troisième force mais ne parvint pas à contenir la répression aveugle, la peur réciproque qui s’installe et la haine entre les deux communautés.

 

A Alger, relativement épargnée jusqu’alors, la constitution du tandem Yaceb Saadi-Abane avec Bouchafa comme bras armé, aboutit au « nettoyage » de la Casbah. D’autant plus que l’opération Oiseau bleu, ce contre maquis manipulé par le FLN et le prétendu retournement de Yaceb Saadi aboutirent à des fiascos étouffés par l’armée. [6] Après ces deux épisodes, l’armée classique déconsidérée laisse la place aux paras du 3ème RCP de Bigeard –surnommés les longs nez- les paras du 11ème choc, régiment-action du SDECE (contre espionnage) les commandos de Hentic. Tandis que la rébellion s’étend, Edgar Faure dissout l’Assemblée nationale condamnant du même coup le plan Soustelle.     

 

         Krim Belkacem

 

Les colères de Robert Lacoste

 

Le nouveau gouverneur général, avec rang de ministre, député de Dordogne, le seul ayant accepté ce poste à haut risque, est un des caciques de la SFIO. Fort en gueule, bon vivant et chaleureux, il veut conduire une politique de balance entre réformes et pacification musclée. La douche froide reçue par Guy Mollet le 6 février 1956, la haine des ultras qui ont entraîné les «petits blancs » et le renvoi du général Catroux par un Guy Mollet qui a cédé  à la rue, n’ont pas trop entamé le moral de Robert Lacoste qui va quand même rapidement déchanter.

 

Premier bilan : l’armée du général Lorillot n’a rien compris aux principes de la guérilla, les désertions augmentent chez les Nord-africains engagés dans l’armée française, des européens –souvent liés au communisme- rejoignent maintenant la rébellion. Le FLN va liquider le PC algérien, dernier bastion qui lui résiste- et poursuivre son harcèlement, l’escalade de la guerre révolutionnaire. Réponse de Lacoste et de Max Lejeune ministre de l’armée de terre : quadrillage des zones et rappel du contingent. Mais le problème est ailleurs. Le commandant Jean Pouget résume bien la situation : « La notion essentielle de la guerre subversive, c’est le con tact. L’état-major est paumé parce qu’il en manque. C’est le commandant de quartier qui est au contact. Et c’est justement là qu’il y a rupture de commandement. » Il illustre lui-même le contre-exemple en faisant d’un tas de rappelés abandonnés à eux-mêmes un groupe de « léopards » opérationnels. [7]

 

Lacoste met au pas les potentats, fait le ménage au Gouvernement général, met en œuvre la réforme agraire et le statut de 1947, en particulier le collège unique, mesures indispensables mais pas  vraiment faites pour rassurer le clan européen, ni même la population musulmane après l’exécution des deux militants FLN Zabana et Ferradj. Après le congrès de la Soummam en Kabylie qui se tient en août-septembre 1956, le FLN se dote d’un formidable instrument politico-militaire qui marque la prééminence de la résistance intérieure. Trois hommes en particulier, Abane et les deux chefs historiques Krim ben Kacem et Ben M’Hidi dominent le mouvement qui entre dans une nouvelle phase. [8] Le FLN pour intensifier la lutte et répondre au contre-terrorisme des ultras constitue des équipes pour fabriquer des bombes, réponse au terrible attentat de la rue de Thèbes dans la Casbah. Le 30 septembre 1956, deux bombes particulièrement meurtrières explosèrent en plein centre d’Alger, au Milk-bar et à la cafeteria de la rue Michelet, traumatisant la population européenne. La police eut la preuve que des européens et des communistes travaillaient pour le FLN.

 

Après l’arraisonnement de l’Athos livrant des armes égyptiennes à la rébellion, on assiste à l’épisode pitoyable de l’arrestation à l’aéroport d’Alger des chefs de la rébellion extérieure dont Ben Bella et Boudiaf  Le FLN déclara alors la guerre à outrance et fera abattre par Ali la pointe le tout puissant président de l’assemblée des maires Amédée Froger. Son enterrement sera l’occasion de terribles « ratonnades » qui creuseront un fossé infranchissable entre les deux communautés –objectif du FLN- et aussi de constater l’impéritie d’une police composée surtout de « pieds-noirs, » incapable de maintenir l’ordre et d’éviter les débordements. Avec la nomination de Raoul Salan à la tête de l’armée et l’arrivée des paras engagés à Suez, « la bataille d’Alger » pouvait commencer.

    

Jacques Soustelle et Robert Lacoste avec François Mitterrand

 La bataille d’Alger

 La Casbah est au FLN et les attentats se multiplient dans les quartiers européens. La réaction va être à la mesure du problème : les paras de Massu avec Trinquier, Godard, Bigeard… investissent la Casbah et appliquent les méthodes utilisées en Indochine contre les Viets. Les civils perdent le pouvoir même si Paul Teitgen résiste, au profit de l’efficacité militaire. [9] Et les résultats ne se font pas attendre : la grève générale décrétée par le FLN est cassée, la Casbah est mise en coupes réglées et muselée par des paras bien décidés à briser toute résistance.

 

La torture systématique donne des résultats impressionnants et Bigeard exulte : la Casbah est nettoyée de ses armes, de ses bombes et beaucoup de ses responsables FLN. [10] Les paras de Château-Jaubert et de Godard ne sont pas en reste, qui arrêtent les "traîtres" comme l’inspecteur Ousmer ou les époux Gautron. Mais c’est Bigeard qui prit dans sa nasse Hamida et surtout Larbi ben M’Hidi, l’un des "six fils de la Toussaint". Confrontation entre les deux hommes : un chef s’impose par l’exemple, tire son autorité des vertus qu’il incarne. Pour Ben M’Hidi, tous les moyens sont bons pour atteindre les objectifs, « une bombe est préférable à un long discours. » Pour Bigeard, une contre guérilla de même nature doit répondre à la guérilla pour avoir une chance de triompher… avec toutes ses conséquences.

 

Dixit le ratissage et la torture. Ben M’Hidi sera finalement fusillé… dans de mystérieuses circonstances. Dixit aussi le pouvoir très théorique de Robert Lacoste sur la maîtrise de la bataille d’Alger, les réactions contre la torture ou les griefs d’un Paul Teitgen. [11] Germaine Tillion  [12] qui enquête sur les prisons d’Alger, est atterrée de constater que toute l’élite algérienne est en prison. [13] Elle eut l’opportunité de rencontrer Yacef Saadi, le responsable FLN d’Alger, qui accepta d’arrêter les attentats si les exécutions cessaient. [14] Mais encore une fois, ce fut une occasion perdue et rien de concret n’en ressortit.

 

Le colonel Trinquier fut chargé de quadriller et de contrôler le Grand Alger et Bigeard fut rappelé. La seconde bataille d’Alger pouvait commencer. Le filet se resserra rapidement sur Yacef Saadi et son adjoint Ali la pointe. Beaucoup de membres de leur réseau tombèrent, d’autres appelés les "bleus de chauffe" furent retournés. [15] Yacef Saadi lui-même fut pris dans sa cache de la rue Caton puis Ali la pointe dans sa planque de la rue des Abdérames.

Le 8 octobre 1957, la bataille d’Alger était terminée et le FLN d’Alger exterminé.

 

  

Les généraux Jacques Massu et Marcel Bigeard

 

Notes et références

[1] Les chefs historiques : Mohammed Boudiaf, Mourad Didouche, Ben M’Hidi, Ben Boulaïd, Rabah Bitat, Krim Belkacem

[2] Le gouvernement Pierre Mendès-France n’aura guère le temps d’intervenir en Algérie et ses velléités de réforme seront vite abandonnées après sa démission

[3] Il faut aussi citer les 3 représentants permanents auprès des pays arabes au Caire Ahmed Ben Bella, Aït Ahmed et Khider

[4] Parmi les dégâts les plus notables, on peut citer : Bombes aux pétroles Maury et à radio-Algérie à Alger, incendies et gendarmes attaqués à Tizi-Ouzou, incendies et attaques de casernes du côté de Boufarik, attaques multiples et bombes dans les principales villes de l’Aurès à Batna, Biskra, Arris et Khenchala

[4 bis] L’Algérie de la rébellion : willaya 1 (Aurès), Ben Boulaïd puis Chahani, Adjel Adjoul, willaya 2 (Constantinois) Didouche mourad, Benaouda, puis Ben Tobbal et Zighout, willaya 3 (Kabylie) Krim Belkacem, Mohammedi Saïd puis Amirouche, willaya 4 (Algérois) Bitat,  Ouamrane, Si M’Hamed, Sadek, willaya 5 (Oranais) Ben M’Hidi puis Boussouf, willaya 6 (la Sud) Si Chérif

[5] Voir le texte et les propositions de Ferht Abbas pages 512-516

[6] C’est aussi l’époque en août 1956 où le FLN se dote des bases politico- militaires qui lui manquaient au congrès de la Soummam

[7] Voir l’exemple pages 680-685

[8] Les 5 membres du comité directeur, le CEE, furent Krim ben Kacem, Ben M’Hidi, Abane, Ben Khedda et Saad Khalab 

[9] Voir l’analyse de Courrière page 794

[10] En particulier Mostefa Bouhired, Rahal Boualem, le bachaga Abdelkader Boutaleb

[11] Voir sa lettre à Robert Lacoste du 29 mars 1957 – pages 846-848

[12] Germaine Tillion, ethnologue, ancienne conseillère technique de Jacques Soustelle et créatrice des centres sociaux en Algérie

[13] Elle s’est rendue en Algérie au nom de la Commission internationale contre le régime concentrationnaire – Voir son livre intitulé "Les ennemis complémentaires" paru aux éditions de Minuit

[14] Voir sa lettre à Germaine Tillion pages 869-870

[15] On arrêta notamment Farès Saïd, , Ghandriche dit Zerrouk le chef de la zone Est-Alger, Hami Mohamed le chef de la zone 1, Hafaf dit Houd le responsable Liaison et renseignement et les deux adjoints de Yacef, Kamelet Si Mourad le spécialiste de la confection des bombes

 

Voir aussi

*Yves Courrière : Camus et la guerre d'Algérie

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03/08/2013
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Yves Courrière : Camus et la guerre d’Algérie


Camus et la baie d'Alger

 

En cette fin d’année 1955, Albert Camus a « mal à l’Algérie. » Il est révolté contre tous ceux qui veulent séparer les deux communautés. [1] Depuis longtemps, «et l’un des premiers- il a dénoncé la grande injustice faite à la population musulmane en Algérie [2] puis l’engrenage attentat-crime- répression-responsabilité collective. Il a repris sa plume de journaliste comme éditorialiste à L’Express [3] qu’il tiendra de septembre 1955 à février 1956.

 

Ses amis restés sur place lui envoient des informations de première main et le, pressent de venir à Alger développer ses thèses fédéralistes. [4] Si la Gauche remporte les prochaines élections législatives, il pense qu’il pourra se présenter une ouverture –la dernière chance sans doute, compte tenu de toutes les occasions manquées- dans laquelle il faut à tout prix s’engouffrer. [5] Son diagnostic est tout à la fois sévère et lucide : « On ne peut donc rêver échec plus complet ni plus misérable. » [6] Ce sera finalement pour le 21 janvier 1956.

 

Dans cette ambiance surchauffée, Albert Camus voulait au moins faire passer ses idées de dialogue et de justice. Face aux menaces dont il est l’objet, à l’ambiance électrique instaurée par les ultras [7], la réunion se déroulera finalement au Cercle du progrès dans la basse Casbah. [8]  Mais c’est finalement Lebjaoui et Ouzegane au nom du FLN qui se chargeront du service d’ordre. Emmanuel Roblès préside la réunion, accompagné de Ferhat Abbas, Camus prend la parole tandis qu’à l’extérieur le tumulte st à son comble, concluant que « devant un tel échec, (celui des autorités françaises) son seul souci ne peut plus être que d’épargner à son pays un excès de souffrances. »

 

Paroles prémonitoires. Il propose, en son  nom et à celui de ses amis, une « trêve civile » [9] pour au moins éviter « le meurtre des innocents, » soulagé dans le fond  de l’absence d’incidents notoires. [10] Le lendemain, son entretien avec le gouverneur général Jacques Soustelle sera très décevant. Malgré tout, il écrit dans L’Express un dernier article politique qu’il intitule « Un pas en avant ». Mais ce petit pas n’est pas du goût du nouveau gouvernement et du nouveau résident Robert Lacoste qui vient de remplacer Soustelle

 

Dès lors, Albert Camus ne voudra plus ajouter au malheur des siens, pris entre « l’Algérie de la haine et la France de la démission. » Pire, ses amis du groupe des Libéraux seront menacés et Albert Camus reprendra la plume pour défendre l’ami Jean de Maisonseul accusé de subversion en mai 1956, qui bénéficiera d’un  non-lieu en juillet 1957. [11] Sa prédiction du 22 janvier 1956 « toute chance d’entente sera définitivement noyée dans le sang » n’allait pas tarder à se réaliser.

 

 

Quelques précisions

Quand Yves Courrière écrit que « les deux communautés vivent ensemble » il faut préciser « plutôt côte à côte, » ayant peu de rapports les unes avec les autres, que ce soit dans les grandes villes où les populations musulmanes vivent comme à Alger dans la Casbah ou dans les zones rurales où les européens vivent dans de petites villes, loin des gours et des mechtas.

 

Sur la biographie de Camus, sa famille paternelle ne venait pas d’Alsace comme on l’a cru pendant longtemps aux dires de camus lui-même mais plus probablement du Bordelais.

(voir à ce sujet Olivier Todd, "Albert Camus : une vie", Paris, Gallimard, coll. « NRF Biographies », 1999

Sur sa « tuberculose latente depuis 1930, » on peut affirmer qu’elle n’était latente qu’entre deux crises et que Camus souffrit de graves rechutes au moins en trois occasions, en 1939-40 où il dut venir d’Oran se reposer au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire, après la parution de L’Homme révolté en 1951-52 où il fut forcé une nouvelle fois de se reposer en Provence puis dans les Vosges et pendant le voyage qu’il entreprit au Brésil en 1949, d’où il revint à bout de forces.

 

Quant  à la « fameuse » citation où Camus met en balance sa mère et la justice, « entre la justice et ma mère, je préfère ma mère, » elle est la plupart du temps tronquée, Camus faisant référence aux attentats, instruments d’une certaine justice du sang et de l’horreur (il était à cette occasion apostrophé par un jeune membre du FLN) Il avait aussi sans doute intégré ces images de l’attentat aveugle à la bombe qui eut lieu à quelques dizaines de mètres du domicile de sa mère à Alger et à qui il était allé rendre visite. 

 

 

Notes et références

[1] Qui cohabitent plutôt qu’elles « vivent ensemble » NDLR

[2] Voir son livre compilation Actuelles III sous titré Les Chroniques algériennes

[3] Voir ma présentation des Cahiers Albert Camus présentant ces différents articles

[4] Lettre à son ami Poncet du 25 septembre 1955, page 610-611

[5] Lettre à son ami Poncet du 07 décembre 1955

[6]  Art de L’Express du 16 décembre 1955

[7] Notamment, le groupe d’Ortiz, les poujadistes de Goutaillier, l’UFNA de Boyer-Bansé, Achiary…

[8] Ils seront accueillis aux cris de « Camus au poteau, Mendès-France au poteau »

[9] On peut trouver le texte intégral sur la trêve civile en annexe pages 930-932

[10] Voir la lettre à son ami Charles Poncet du 29 janvier 1956, pages 624-625

[11] Lettre publiée dans le journal Le Monde e et reprise dans son ouvrage Actuelles III

 

Voir aussi

* Yves Courrière : La guerre d'Algérie

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16/07/2013
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Le prince Zizim en Limousin

        Zizim dînant chez Pierre d'Aubusson

Le Grand Maître Pierre d'Aubusson reçoit le prince Zizim à sa table

 

Les mille et une nuits en pays limousin, c’est le curieux mélange qu’offre le XVème siècle finissant. Par quel clin d’œil de l’histoire, le prince Zizim frère du Grand Turc est-il venu échouer à Bourganeuf, petite bourgade du département de la Creuse, situé sur la route nationale entre Aubusson et Limoges. De Zizim, le vice-chancelier de l’ordre des hospitaliers, Guillaume Caoursin en dresse le portrait suivant : « Cet homme de 29 ans a la stature haute, une santé robuste, un visage fin, les yeux bleus un peu obliques sous des sourcils épais se joignant presque à la racine du nez, celui-ci aquilin déviant un peu à gauche, une bouche minuscule, des lèvres charnues, le menton pointu. Son teint est brun comme la peau d’une châtaigne, il a la tête grosse, les oreilles petites et le corps est chargé d’embonpoint. »

 

Tout commence par un chassé-croisé digne d’une comédie de boulevard entre les deux fils du défunt, le Sultan Méhémet II le Conquérant (el Fatih), l’aîné Bajazet et son cadet Djem dit Zizim. C’est le Grand Vizir qui joue à cache-cache avec les deux prétendants, voulant en fait avantager Zizim. Il fait revenir en cachette la dépouille du souverain pour faire croire qu’il n’est pas encore mort mais sa manœuvre est éventée. Zizim ne pourra revenir à temps dans le palais d’Istambul, Bajazet reviendra à temps aidé des janissaires qui feront un mauvais sort au Grand Vizir. Fin de l’acte I.

 

      ! merci à The Order of St John of Jersusalem !

Le prince Zizim             L'arrivée de Zizim à Rhodes (miniatures)

 

 Désormais entre les deux prétendants, c’est la guerre. Zizim est d’abord victorieux mais bien vite il essuie plusieurs défaites à Bursa (la Brousse antique) puis après la reprise des combats à Angora (l’actuelle Ankara) en 1482. Zizim s’exile alors et trouve refuge auprès des Hospitaliers de l’île de Rhodes. Soucieux, Bazajet signe la paix avec Pierre d’Aubusson le Grand Maître de l’Ordre.  Mais Zizim n’est pas rassuré pour autant et préférerait se réfugier dans le bon royaume de France sous la protection du roi Louis XI.

Or justement, l’Ordre des Hospitaliers est bien implanté à Bourganeuf, son  importance étant due aux chevaliers de Rhodes. La cité devint une belle commanderie, résidence du grand Prieur et quatre d’entre eux devinrent Grands Maîtres de l’Ordre. [1] Ces deux derniers firent élever la grande tour qui porte maintenant le nom de Tour de Lastic et un peu plus loin, une large tour ou Tour Zizim, bâtie justement pour accueillir dignement leur illustre hôte.

! merci à Bernard Bigey !     

Zizim à Bourganeuf (tableau de Bernard Bigey)

 

Logé au château de Boislamy vers Bonnat en attendant que la construction fût terminée, Zizim s’installa au troisième étage de la tour avec sa suite, y apportant tout le luxe et le raffinement orientaux. Du haut de ses six étages, la tour exhibe fièrement sa charpente en chêne à 3 niveaux, son escalier à vis taillé dans l’épaisseur des murs et menant à la plate-forme, son ensemble de créneaux et de pierres décorées en saillie (ou pierres en bossage). Telle est sa prison dorée, prison quand même car un hôte de son importance est constamment surveillé, aussi bien pour sa sécurité que pour ce qu’il représente. Il a parfois quelques velléités d’aller de nouveau défier son frère Bazajet tout en baignant dans une ambiance raffinée, rehaussée d’un petit harem, et s’adonnant à la chasse dans les bois alentour giboyeux.

 

Les tours de Bourganeuf

 

En fait, ce que redoutent le plus ses gardiens, sont les tentatives d’enlèvement. Zizim reste un enjeu, une pièce maîtresse sur l’échiquier politique de l’Europe d’alors.  De subtiles manœuvres se déroulent constamment, qu’il faut déjouer, qu’elles proviennent du duc René de Lorraine, de Matthias Corvin le roi de Hongrie, alors à la frontière de l’empire turc… Zizim est devenu un pion diplomatique majeur que tout le monde voudrait s’approprier, un épouvantail aussi, prétendant au trône pour son frère Bajazet et les ottomans.

 

C’est le pape Innocent VIII, toujours obnubilé par la croisade, qui aura le dernier mot et finir par récupérer le précieux Zizim. Pierre d’Aubusson et le roi Charles VIII vont céder devant l’insistance du pape. Le 10 novembre 1488, un long cortège de 400 hommes quitte Bourganeuf, emmenant Zizim à Rome via Toulon. Dès lors, le pauvre Zizim sera ballotté au gré des aléas politiques, pris entre le nouveau pape Alexandre VI Borgia, successeur d’Innocent VIII et le roi Charles VIII dont les armées victorieuses entrent à Rome le 31 décembre 1494. Il finira par être, comme l’écrit le grand chroniqueur de l’époque Philippe de Commynes « baillé empoisonné » le 25 février 1495. On accusa bien sûr les Borgia qui savaient si bien manier le poison mais, ce qu’on peut affirmer, c’est que le grand bénéficiaire de cette disparition soudaine fut son frère Bajazet. L’un n’empêchant pas l’autre d’ailleurs, le sultan Bazajet ayant pu grassement rémunérer de leurs services des Borgia plutôt vénaux.

 

Mais, ironie du sort ou juste retour des choses, le sultan Bajazet finira lui aussi empoisonné par son fils Sélim le Cruel en 1512.

Image attachée      

Intérieur de la tour Zizim

 

Notes et références

[1] Les quatre Grands Maîtres de l’Ordre furent successivement Jean de Lastic, Jacques de Milly, Pierre d’Aubusson et son neveu Guy de Blanchefort

 

Sur le Limousin, Voir aussi

* L'or du Limousin                       * Limousin D'un lac à l'autre

* Clément VI pape limousin           *

 

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28/06/2013
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