CJB

CJB

Les routes de la soie, première mondialisation

Au rythme des routes de la soie

 

 L’Ange de Tobie, du peintre Hossein Naqqâsh, Ecole moghole, vers 1590, Musée Guimet, Paris

 

La soie serait-elle le symbole de la première mondialisation ? Il faut remonter en tout cas à quelque trois millénaires pour retrouver en Orient les premiers procédés de fabrication puis la fascination occidentale pour ce tissu qui, par la fameuse route de la soie, signe la première forme de mondialisation. Longue chaîne entre la Méditerranée et la Chine, l'Orient et l'Occident.

 

Cette route baptisée de la soie en 1877, comme souvent le commerce, a été une époque importante pour rapprocher orient et occident. De la Chine aux grands ports italiens, les caravanes traçaient les circuits commerciaux, d’abord par les 8.000 kilomètres de pistes dans les steppes puis par des routes maritimes.

 

La tradition veut qu’une impératrice chinoise douillettement installée sur un mûrier  vit choir dans sa tasse de thé… un cocon. Curieuse de nature, elle voulut retirer l’intrus mais elle dut finalement enrouler le fil qu’elle en avait extrait sur une bobine. Son époux l’empereur, mis au courant de la découverte, décida d’organiser l’omerta sur ce secret d’état. Ce nouveau produit fut baptisé sseu… qui donna ensuite en latin serica, le mot soie en français.

 

La diffusion des échanges est essentiellement due à Alexandre le Grand qui encouragea le transport des marchandises, surtout par le peuple des Scythes habitant entre l'Ukraine et la Mongolie et plus au sud par la Voie royale due au départ à Darius Ier mais sa mort en 323 av.J.-C. mit un terme à ce développement économique.

Zhang Qian après Alexandre le Grand… et avant les Romains

Sur ordre de l’empereur chinois WouTi, Zhang Qian partit en 138 av.J-C. pour l’Asie centrale puis chez les Xiongnu. Sa grande aventure lui permit d’ouvrir une nouvelle route pour relier la Chine à l’Asie centrale, les « trente-six royaumes des Régions occidentales. »

Déjà l'historien Pline l'ancien écrivait dans son Histoire naturelle, VI, 20 : « Les Sères - Chinois - sont célèbres pour la substance laineuse tirée de leurs forêts ; après les avoir trempées dans l'eau, ils peignent le duvet blanc des feuilles… » Et Sénèque surenchérira en parlant « d’une matière qui ne cache pas le corps. » Rome est alors fascinée par cette matière encore mystérieuse en occident dont semble-t-il les survivants de la défaite de Carrhes en 53 av.J.-C. ont admiré la beauté de ce tissu qui ornait les bannières des Parthes. Et justement, ce n’est pas les Chinois mais les Parthes, grands commerçants, qui vont vendre cette soie tant convoitée tout en conservant le monopole de son commercialisation… même après que l’empereur Tibère eut interdit son commerce sous prétexte de décadence !

   

Dômes bleus de la citadelle de Khiva, le              Rajasthan, palais Havelî

minaret Khodja, étape sur la route de la soie

 

L’hégémonie mongole

Le Proche-Orient, Palmyre en particulier, sert de plaque tournante entre orient et occident et, après l’effacement des Parthes au IIIe siècle de notre ère, c’est l’Asie centrale et Samarcande qui prendra le relai en dominant les itinéraires caravaniers.  Mais au VIIIe siècle, Arabes et Mongols vont saper leur pouvoir et s’imposer dans ce commerce fructueux basé, outre la soie, sur les fourrures, l’ambre balte, la vaisselle d’argent ou les riches tissus qui protègent et décorent les reliques des églises.

 

Pendant près de deux siècles, du XIe au XIIIe siècle,  la route de la soie connue insécurité et déclin, les Haschischins attaquant constamment les caravanes mais les Mongols, Gengis Khan et ses successeurs, maîtres de la région, vont la sécuriser et, s’ouvrirent à des européens comme le vénicien Marco Polo. En Europe, c’est Venise la Sérénissime République qui contrôle le marché et va peu à peu remonter en Asie à la source de la production. Sur le plan politique, on assiste à une redistribution des cartes, l’émergence de l’Empire ottoman au Proche-Orient, l’effacement de la Chine de la dynastie des Ming qui se replie sur elle-même et au XIVe siècle, elle refuse même tout commerce avec l’occident. Ces évolutions vont permettre à l’occident de battre en crèche le monopole chinois.

 

   

Routes de la soie en Chine                                     

L’extension de la production en Europe

Pour les européens, la tentation est grande de contourner le monopole, d’acquérir  l’or et les épices en passant par la route maritime des épices pour remplacer la route de la soie, surtout depuis que le secret de sa fabrication a gagné l’Occident. En 552, on a offert à l’empereur Justinien à Constantinople des cocons de ver à soie vraisemblablement volés aux Chinois. La sériciculture s’est d’abord développée en Perse et va gagner l’Italie et la France. Dans ce dernier pays, les rois Louis XI et François Ier, pour éviter les importations, encouragent la création d'ateliers de tissage à Tours et à Lyon. Un peu plus tard vers 1600, le roi Henri IV et son ministre Sully vont initier une véritable politique de production à Lyon et dans la vallée du Rhône, confiée à l'agronome Olivier de Serres.

Les changements d’orientation

Ce n’est qu’au XIXe siècle pour que les pays occidentaux se préoccupent de l'Asie centrale. Pour endiguer l’expansionnisme russe, les occidentaux  veulent créer des zones tampon dans les steppes kazakhes et montagnes afghanes, d’autant que la Révolution russe change peu de choses, s’imposant aux populations musulmanes d'Asie centrale, Lénine déclarant par exemple « L'Orient nous aidera à conquérir l'Occident, » ! ce qui ne rassure vraiment personne. [1]

Au début du XXe siècle, la route de la soie n’est plus d’actualité, on redécouvre les anciennes civilisations qui vont aboutir sur une concurrence acharnée en antiquités, en archéologie Les exemples sont nombreux, à commencer par la découverte en 1890 de feuillets d'écorce de bouleau rédigés en sanskrit au Ve siècle, les manuscrits Bower. [2]

Ces opportunités vont se raréfier après la Première guerre mondiale et les changements géopolitiques qu’il a entraînés et il faudra 1991 et l'indépendance des républiques socialistes pour que la fameuse route de la soie soit de nouveau accessible. Elle est  largement devenue une destination touristique qui devrait se concrétiser avec le grand projet d'autoroute reliant la Chine et la Russie, via le Kazakhstan qui devrait en même temps désenclaver toute ces régions.

Mur affiche dans l'Ouzbékistan                     Caravansérail de Sultanhani, Turquie

 

Notes et références

[1] Voir le roman intitulé "Kim" de Ruyard Kipling

[2] Parmi les principales découvertes, on peut citer : la redécouverte des villes anciennes du Turkestan par l’Anglais Aurel Stein, la mise à jour des antiquités de l'oasis de Turpan en Chine par l’Allemand Albert von Le Coq, le décodage des manuscrits dans les grottes de Dunhuang par le Français Paul Pelliot

 

Sources bibliographiques

* La Route de la Soie, éditions Gallimard, Bibliothèque du voyageur, 2010.
* Jean-Pierre Drège, Marco Polo et la Route de la Soie, éditions Gallimard, Découvertes n°53, 1989.
* François Pernot, Les Routes de la Soie, éditions Arthémis, 2001.
* Jean-Paul Roux, L'Asie centrale. Histoire et civilisation, éditions Fayard, 1997

* Sur les traces de Marco Polo : de Venise à Pékin, Yamashita Solar, Paris, 2003
* Le livre des merveilles, Marco Polo, Larousse, Paris, 2000
* Route de la soie, De XI'AN à KASHGAR ,Judy Bonavia, Guides Olizane Olizane, Genève, 2002

 

<<<<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, 27 septembre 2013 © • cjb • © >>>>>



27/09/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres