Essai
Stendhal, « un européen absolu »
1- Stendhal voyageur impénitent
L'attrait de Stendhal pour les voyages remonte sans doute à son enfance grenobloise dont il parle dans son récit autobiographique la Vie de Henry Brulard : il visite déjà à diverses reprises les environs de sa ville natale ainsi que la Savoie toute proche. Mais c'est l'épopée napoléonienne qui le jette à travers l'Europe avant d'être enthousiasmé par l'Italie. Son ami Mérimée disait de lui qu'il avait besoin de « locomotion », aime voyager, curieux avant tout des gens et du monde qui l'entoure, notant ce qu'il voit et ce qu'il ressent au fil de la plume.
La documentation à ce sujet étant pléthorique, il m'a semblé intéressant après un bref panorama du "Stendhal voyageur", de présenter ses trois ouvrages qui concernent l'Italie, "Rome, Naples et Florence", "Promenades dans Rome", "Chroniques italiennes", la relation de ses voyages en France dans "Mémoires d'un touriste" ainsi qu'un complément sur son essai "Histoire de la peinture en Italie".
« Ce que j'aime dans les voyages, c'est l'étonnement du retour. » Stendhal
Même si Stendhal a plutôt traité dan son œuvre littéraire les tourments du cœur sans beaucoup s'atteler à raconter des histoires ou écrire des romans d’aventure, il a été dans sa vie un grand voyageur, préférant parcourir l'Italie plutôt que de voyager dans sa tête. A plusieurs reprises, il va sillonner l'Europe du col du Grand Saint-Bernard à Berlin, du Danube à la Bérézina, de la Calabre à la Catalogne, en chemins de fer aussi bien qu'en en calèche ou en diligence. Il est parfois pris d'une « fringale de départs et de flâneries audacieuses... entre deux amours et deux livres ». [1] Stendhal, cet "européen absolu" selon l'expression de Nietzsche, saute dans une diligence à la moindre occasion. Par contre, quand il écrit, il écrit... pour preuve, Stendhal dicta l'essentiel de La Chartreuse de Parme en cinquante-trois jours, enfermé dans sa chambre de la rue Caumartin à Paris.
S'il naît à Grenoble le 23 janvier 1783, dès 1800 il rejoint la capitale et on le retrouve rapidement dans les Alpes en route pour l’Italie, sous lieutenant d'un certain Bonaparte. Il n'y restera pas longtemps, l'ambiance de l'armée lui déplaît, sait qu'il est déjà « passionné par les voyages en ce moment. Quand on sait voyager, cela fait bien connaître les hommes.» Fondamental pour un futur écrivain. On le retrouve ensuite en Allemagne à partir de 1806 et trois plus tard, il débarque à Vienne qui lui apparaît comme « une grande ville de province en France.» En 1811 il découvre tout à la fois l'Italie, la beauté de la peinture de ce pays et... la belle Angela. Infatigable voyageur, protégé son cousin le comte Pierre Daru, il suit l'épopée napoléonienne, en particulier les tribulations de l'armée française en Russie et passe par miracle la Bérézina le soir du 27 novembre 1812 peu avant l’effondrement du pont et tout fier de lui, il a e commentaire : « Ce voyage m’a fait voir des choses qu’un homme de lettres sédentaire ne devinerait pas en mille ans.»
Sa maison d'enfance, celle de son grand-père le Dr Gagnon
Après deux passages à Londres en 1821 et 1826 où il assiste à la représentation de pièces de Shakespeare, ce sera sa chère Italie qu'il ne quittera guère, « morceau de ciel tombé sur la terre » dira-t-il, sauf en 1938 pour l'Espagne, l'Italie où il sera "Monsieur le Consul" jusqu'en 1841. [2] Il en donnera sa propre dans ses écrits, des récits de voyage où l'écrivain prend le pas sur le témoin, où dans Promenades dans Rome, où la réalité est revisitée par l'esprit stendhalien.
Après un crochet par le Bordelais et la Provence en 1829, il revient en France en 1837 avec un autre écrivain Prosper Mérimée, dans la France "louis-philipparde", pérégrinations qu'on retrouve dans un autre texte intitulé Mémoires d’un touriste qui fait entrer ce néologisme dans la langue française. Il s'intéressait aussi ben aux gens qu'il avait l'occasion de rencontrer au cours de ses voyages qu'à l'environnement qu'il découvrait, « J’aime les beaux paysages, écrivit-il. Ils font quelquefois sur mon âme le même effet qu’un archer bien manié sur un violon sonore; ils augmentent ma joie et rendent le bonheur plus supportable. »
2- STENDHAL : Rome, Naples et Florence
« Mes voyages en Italie me rendent plus original, plus "moi-même". J'apprends à chercher le bonheur avec plus d'intelligence. » [3]
Ce n'est pas tant le récit du voyage qui intéresse Stendhal que l'art, surtout l'art italien si prisé à son époque, l'opéra, l'architecture et la peinture en particulier... [4] ainsi que les femmes. [5] Quelques annotations suffisent à une description : « le caractère de la beauté en Italie, c’est le petit nombre des détails et, par conséquent, la grandeur des contours,» une simple touche comme lors de son arrivée à Florence : « Enfin, à un détour de la route, mon oeil a plongé dans la plaine, et j’ai aperçu de loin, comme une masse sombre, Santa Maria del Fiore et sa fameuse coupole, chef-d'œuvre de Brunelleschi, » une simple réflexion à propos de Milan et Bologne : « Bologne a, ce me semble, beaucoup plus d’esprit, de feu et d’originalité que Milan ; on y a surtout le caractère plus ouvert. »C'est d'abord l'opéra qui l'attire (et les belles femmes qui y paradent) : « je vais dans huit ou dix loges; rien de plus doux, de plus aimable (...) Chaque femme est en général avec son amant. »
Santa-Maria del Fiore
Dans sa quête de l'art dans ses formes classiques, il est servi en Italie et il constate que « la France n’a rien produit de comparable. » Il suffit de regarder, de se laisser aller car « il ne faut pas des raisonnements pour trouver cela beau. Cela fait plaisir à l’œil.» Il est insatiable allant d'un lieu à l'autre, d'un musée à un autre, ouvert à l'émotion offerte par exemple « en sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur; la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. » Ce que certains ont appelé « le syndrome Stendhal. »
Vue de la place du Grand-Duc à Florence, Canella, 1847
3- STENDHAL : Promenades dans Rome
A partir de ses souvenirs, Stendhal nous entraîne à la découverte de Rome et des romains. Ce ne sont pas les souvenirs qui manquent : première visite en 1802, en 1811 pendant l'occupation française et dans une ambiance "napoléonienne" qui lui déplaît fort, successivement en 1816, 1817 et 1823 avec le très aimable cardinal Consalvi. En 1828, changement de tonalité, le climat s'est encore détérioré on pouvait « recevoir des coups de bâtons sur un "cavalletto". » Il annonce carrément qu'il dira toute la vérité, librement, reprenant les anecdotes qui lui ont le plus marqué. Entre le récit de voyage et le récit personnel -il parle à la première personne- « il fait éclater le journal de voyage en prenant la liberté de parler de ce qu’il veut, et quand il le veut. » [6]
Il voyage écrit-il « pour voir des choses nouvelles, non pas des peuplades barbares comme le curieux intrépide qui pénètre dans les montagnes du Tibet, ou qui va débarquer aux îles de la mer du Sud.» Il nous présente la Rome multiple : la romaine avec de nombreux commentaires sur les ruines de l’Antiquité; la ville dédiée à l’Art, avec ses monuments qui illustrent tous les époques, véritables cours d'histoire à livre ouvert, avec les chefs-d’œuvre de la peinture et de la sculpture; enfin la cité des Papes, et le « gouvernement et les mœurs qui en sont la conséquence. » Stendhal nous offre aussi plusieurs menus des visites à effectuer, le choix entre le Colisée et les Raphaël du Vatican, le Panthéon et l’atelier de Canova par exemple... selon l'humeur du touriste, ce qu'il recherche entre « le "beau inculte et terrible" ou le "beau joli et arrangé", faites-vous conduire au Colisée ou à Saint-Pierre. »
Attention cependant nous prévient-il, de ne pas vouloir "tout voir", d'être atteint du « dégoût de l’admiration » et il veut mieux alors aller se distraire avec les Romains sans toutefois ajoute-t-il ironique, «se brouiller avec sa cour et sans déplaire au pape. » Dans cette Rome soumise à l'imagination de Stendhal, il fait aussi œuvre didactique, incluant une documentation intéressante sur la ville où l'art, l'histoire romaine et la papauté tiennent une place importante, tout comme les descriptions, les conditions de son voyage à une époque où il fallait souvent compter une quinzaine de jours pour parcourir la distance entre Paris et Rome.
Curieusement, ces "promenades romaines" nous entraînent aussi -comme son livre précédent "Rome, Naples et Florence" (voir article ci-dessus)- dans ces deux dernières villes. Il se réconcilie avec Naples, le théâtre San Carlo où chante le grand Lablache et il est transporté par Florence, même s'il trouve ses habitants "trop français", artificiels et prétentieux. C'est à Florence qu'il rencontre Lamartine, alors secrétaire à la Légation de France, rencontre heureuse qui lèvera bien des préventions entre les deux écrivains.
Ceci dit, la trame d'un guide nommé Stendhal qui entraîne un groupe à la découverte de Rome est purement imaginaire. A la date supposée du départ de la visite le 3 août 1827, il est à Gênes où il rencontre Manzoni et non à Rome et personne n'a trouvé trace de l'épigraphe qu'il attribue à Mercurio dans le Roméo et Juliette de Shakespeare : « J'ai vu de trop bonne heure la beauté parfaite... » C'est en fait du pur Stendhal !
4- STENDHAL : Chroniques italiennes
Chroniques italiennes est un recueil de récits de Stendhal, composé de huit récits [7] écrits entre 1836 et 1839, qui s'appuient sur de vieux documents que Stendhal exhuma quand il était consul de France dans le petit port tyrrhénien de Civitavecchia.
Trop de faveur tue, L'abbesse de Castro, Vanina Vanini & La duchesse de Paliano
Cet ensemble de récits qui datent de la Renaissance, sont marqués au sceau de la violence et de la passion, donc d'un romantisme, imprégnant les textes de Stendhal. Après être parus dans la Revue des deux mondes, ils seront réunis en recueil auquel s'ajoutera La Duchesse de Palliano ainsi que deux œuvres posthumes, Trop de faveur tue et Suora Scolastica. C'est son cousin Romain Colomb, son exécuteur testamentaire, qui imposa le titre de « Chroniques italiennes » pour la réédition de 1855.
De ces huit récits, les plus connus sont certainement "Vanina Vanini" et "La Duchesse de Palliano" mais d'autres méritent aussi d'être présentés . Vanina Vanini narre l'histoire de Pietro Missirilli, un carbonaro qui réclame la liberté pour son pays, et de Vanina, jeune princesse orgueilleuse. Son père veut la marier à un prince, Don Livio Savelli mais Vanina refuse cette union, éprise du beau carbonaro blessé d'un coup de poignard, que son père héberge dans sa demeure romaine. Mais, jalouse de l'engagement patriotique de Livio parti en Romagne, elle dénoncera ses amis et lui par solidarité se livrera avec eux. Vanina, torturée par la culpabilité, et emprisonnée et rejetée par Livio qui finira cependant par succomber à ses charmes.
Vittoria Accoramboni a tout pour elle, la beauté, la naissance, le charme... et est très heureux après son mariage avec Félix Peretti. Mais Félix est mystérieusement assassiné en pleine rue de trois coups d’arquebuse. On soupçonne quand même le prince Orsini qui aurait même pu agir avec le consentement de la famille de Vittoria. Soupçon augmenté le jour où elle épouse le prince Orsini alors que le frère de Félix, le cardinal Montalto, devient pape sous le nom de Sixte-Quint. Le dénouement sera tragique : après le décès du prince, Vittoria et ses frères sont assassinés par le frère du prince Louis Orsini, jaloux que Vittoria hérite; mais il sera finalement emprisonné puis étranglé.
Les Cenci
François Cenci est un don Juan fortuné et renommé pour son courage. Après le décès de sa première femme, malgré ses sept enfants, il épouse Lucrèce Pétroni. Mais c'est un violent qui bat sa femme comme ses filles, en particulier Béatrix Cenci victime d'une tentative de viol. A la maison, le climat devenant irrespirable, Béatrix et sa mère aidées de deux hommes tuent François Cenci, Béatrix parvenant à faire croire à un accident. Mais la police papale veille et les deux femmes finissent par passer aux aveux. Malgré l'aide de plusieurs cardinaux seul le plus jeune des frères sera sauvé. Elles monteront à l'échafaud avec une dignité telle qu'elles forcent l'admiration de leurs concitoyens.
Béatrice Cenci 1599 par Guidi Reni par Harriett Hosmer (1857) Les Cenci
La Duchesse de Palliano
Jean-Paul Carafa, avec l'aide de son cousin Olivier Carafa, est nommé pape sous le nom de Paul IV. Rapidement, il nomme ses trois neveux à des postes d'importance, l'un d'eux le duc de Palliano, marié à Violante de Condone, très belle et très orgueilleuse. Les deux autres neveux ne sont pas mieux et le pape, lassé de leurs incartades, se résout à les chasser. Sur ces entrefaites, la duchesse prend un amant, un nommé Marcel Capece mais sa suivante, par vengeance, raconte tout au duc. L'imbroglio vire à la tragédie quand le duc exécute l'amant de sa femme et sa suivante qui avait dévoilé l'affaire, et devant l'insistance de son entourage, finira par se résoudre à faire supprimer la femme adultère. Le nouveau pape Pie IV fait mettre à mort le duc et son frère cardinal mais son successeur Pie V réhabilitera leur mémoire.
L’Abbesse de Castro
La campagne autour de Rome, la charmante ville d'Albano en 1542 où vit la puissante famille des Campireali.
Hélène de Campireali est renommée pour sa beauté exceptionnelle. Comme dans les contes, elle est courtisée clandestinement par Jules Branciforte, pauvre brigand qui lui envoie un bouquet qui cache un mot d'amour. Malheureusement, il est démasqué par le père et le frère d’Hélène mais il réussit à renouer avec la jeune fille, lui avouant sa modeste condition.
Au cours des luttes pour le pouvoir qui opposent les deux familles les plus puissantes de Rome, les Colonna et les Orsini, Jules est amené à tuer Fabio Campireali le frère d'Hélène, tandis qu’Hélène a été expédiée au couvent de Castro . Situation cornélienne s'il en est. Hélène finira par lui accorder son pardon et il essaiera de l'enlever du couvent où elle est fort bien gardée, mais blessé pendant sa tentative, il échouera.
Hèlène s'enfuit alors du couvent, déguisée en ouvrier mais Jules, pourchassé, menacé de mort, s'est embarqué pour Barcelone. Le croyant mort, elle retourne au couvent et parvient à en devenir l'abbesse. Mais Hélène commet une terrible imprudence et tombe enceinte de l'évêque, Francesco Cittadini. Accouchement clandestin bien sûr mais elle sera dénoncée par la sage-femme, condamnée par l'impitoyable cardinal Alexandre Farnèse, pape sous le nom de Paul III et tentera de s'évader par un passage souterrain. Tandis que Jules revient d'Espagne après la mort du pape, bénéficiant d'une période de vacance du pouvoir, [8] elle tire les leçons de son inconduite et il arrive trop tard, la trouve morte, « la dague dans le cœur ».
5- STENDHAL : Mémoires d'un touriste
Ce chapitre complété a été déplacé à l'adresse suivante :
Mémoires d'un touriste & Voyage dans le midi
6- STENDHAL : Histoire de la peinture en Italie (document complémentaire)
Curieux parcours que ce livre paru anonyme et à compte d'auteur, réécrit après que Stendhal eût égaré son manuscrit pendant la campagne de Russie. Livre prétexte diront certains, à une réflexion politique après la débâcle de Napoléon en Russie, amour de l'Italie diront quelques autres, Italie qui en l'occurrence s'appelait Angela Pietragrua, la belle Milanaise qui lui valut des amours passablement tourmentées.
Cet ouvrage, écrit entre 1812 et 1816, mêle en effet souvenirs personnels, histoire et développements artistiques. Il y commente des œuvres de Guido Reni ou Le Corrège mais s'attarde surtout sur Léonard de Vinci et Michel-Ange. [9]
Différentes éditions de son essai
Partant des primitifs, son parcours est sans grande cohérence, intéressant quand même à une époque où on manquait de documentation sur ces questions. Il y développe cependant ses conceptions sur l'art, en particulier la relativité du concept de beauté en art, cette distinction importante entre les notions de «Beau moderne» et de «Beau idéal», qu'il reprendra dans la querelle du romantisme.
Notes et références
[1] Jean Lacouture, "Stendhal, le bonheur vagabond", éditions Le Seuil, janvier 2004
[2] Voir ses "Souvenirs d'égotisme" que Stendhal écrivit quand il était consul à Civitavecchia, Flammarion, collection GF, 204 pages, 2013
[3] Stendhal, "Rome, Naples et Florence", illustrés par les peintres du romantisme, éditions Diane de Selliers, 2002
[4] Voir Stendhal, "Histoire de la peinture en Italie", Gallimard, collection Folio essais, 720 pages, 1996
[5] La beauté est pour lui «pleine d’âme et de feu», écrit-il dans "Promenages dans Rome" à propos des jolies femmes de Rome remarquées la veille au soir au concert.
[6] Préface à "Promenades dans Rome" par Michel Crouzet, Gallimard, Folio classique, 912 pages, 1997
[7] Chroniques italiennes : Vittoria Accoramboni, Les Cenci, La Duchesse de Palliano, L'Abbesse de Castro, Trop de faveur tue, Suora Scolastica, San Francesco a Ripa, Vanina Vanini, Paris, 1837-1839
[8] Paul III meurt le 10 novembre 1549 alors que Jules III son successeur ne sera élu que le 7 février 1550
[9] Stendhal, "Histoire de la peinture en Italie", éditions Gallimard, établie par Vittorio del Litto, Folio-essais, 712 pages, 1996
Voir aussi mes fiches sur Stendhal :
* Stendhal et la découverte de l'Italie et Stendhal et la campagne de Russie
* Stendhal et Armance et Stendhal et Lamiel
* Vie de Henri Brulard et Stendhal à Lyon, C. Broussas
* Stendhal consul à Civitavecchia -- * Stendhal et Lucien Leuwen
Autres références
* Beyle, Stendhal, Brulard, Le rouge et le noir, La chartreuse de Parme, Stendhal à Grenoble et à Paris
* Présentation générale des œuvres de Stendhal
<<< Christian Broussas -Stendhal voyageur - 11/2013 maj 2014 >>>
Variations sur la Violence des riches
2013, deux ans après la parution du Président des riches, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon publient un nouvel ouvrage toujours sur le même thème intitulé la Violence des riches. Ils poursuivent leur analyse de l'univers d’une classe dominante et de ses instruments de pouvoir qui pèsent largement sur le fonctionnement de la démocratie et au détriment des plus défavorisés.
Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
Selon Monique Pinçon-Charlot, il faut d'abord mettre en exergue la violence économique de type néolibéral, basée sur la spéculation, déconnectée de la réalité productive qui se conclue par des licenciements massifs malgré de confortables bénéfices. A cala s'ajoute le fait que la classe dominante passe aussi par une violence idéologique qui présente le néolibéralisme comme un phénomène naturel et une violence linguistique par manipulation du langage pour imposer une pensée unique, la leur bien sûr, génératrice de fatalisme de la part des autres classes sociales.
Selon son mari Michel Pinçon, dans ces conditions, les couches populaires croient de moins en moins au discours politique, une césure qui touche toute la classe politique, y compris une gauche prise dans cette logique. La notion de changement se décline en deux dimensions qui se déclinent en alternance et en alternative. Or maintenant l’alternative n'est plus possible, seule l'alternance se décline actuellement sur fond de libéralisme. (voir le livre de François Hollande, "La gauche qui bouge ") La France rejoint la tradition anglo-saxonnes où deux grands partis démocrate et républicain alternent au pouvoir sans que leur différenciation politique soit clairement lisible.
Le fonctionnement de la Ve République favorise en définitive cette violence des riches. Il faudrait en passer par une nouvelle Constitution pour vraiment pouvoir faire bouger les choses. Et les problèmes à résoudre sont aussi nombreux que divers : dans les excès de la mondialisation par exemple, comment concevoir qu'une firme comme LVMH ait quarante-six filiales dans les paradis fiscaux alors que la classe politique est incapable d'agir de tels pratiques, coupée des classes populaires pratiquement pas représentées au parlement.
Le langage lui-même devient instrument du pouvoir, les mots considérés comme "non conformes" sont proscrits, sont tabous, il n'y a plus de capitalisme ou d'antagonisme entre classes sociales, on utilise des mots-valises sans contenu comme flexi-sécurité par exemple à la définition si sibylline, appeler un spéculateur par son nom sans passer par la langue de bois. Le langage suppose l'émergence d'une nouvelle culture pouvant assurer le pouvoir des riches. Savoir lire et écrire ne suffit plus, la mondialisation veut que l'on soit trilingue, maniant aussi bien le Français, l'Anglais que l'Espagnol, les trois langues "internationales". [2] Après l'économie et la finance, la culture se mondialise, « l’organisation cosmopolite est absolument transversale à la classe » qui se reconnaît parfaitement dans ses signes et ses modes de vie.
L'histoire à son tour est investie comme une dimension sociologique, le riche s'inscrit dans une généalogie, sinon une dynastie, ses repères sont autant de biens culturels que mobiliers et immobiliers qui apprend aux enfants autant les différences que leur position dans la famille, dans le groupe. [3] En regard, on peut comparer cette situation avec celle d'un enfant de banlieue qui voit la tour de son enfance s'effondrer devant ses yeux, « vraie précarité de la vie populaire, » un autre univers de deux mondes dont les antagonismes sont nourris de criantes inégalités.
Le plus grave est que cette évolution est basée sur une inversion des valeurs, celle de solidarité s'effaçant devant les ravages de l’individualisme et la classe dominante fait les règles pour elle-même et à son profit. Cette forme de néolibéralisme contemporain a engendré une forme d'individu qui lui correspond, un individu « néolibéral, pervers, narcissique, au-dessus des lois. »
La référence à Pierre Bourdieu
« Rien n'est plus surprenant pour ceux qui considèrent les affaires humaines avec un oeil philosophique que de voir la facilité avec laquelle la majorité (the many) est gouvernée par la minorité (the few) et d'observer la soumission implicite avec laquelle les hommes révoquent leurs propres sentiments et passions en faveur de leurs dirigeants. Quand nous nous demandons par quels moyens cette chose étonnante est réalisée, nous trouvons que, comme la force est toujours du côté des gouvernés, les gouvernants n'ont rien pour les soutenir que l'opinion. C'est donc sur l'opinion seule que le gouvernement est fondé et cette maxime s'étend aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaires aussi bien qu'aux plus libres et aux plus populaires. »
(David Hume, in Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Seuil, Collection Liber, 1997, Points, 2003 P.257, aussi in Sur l'Etat. Cours au Collège de France 1989-1992, Raisons d'agir/Seuil, 2012, p.257-258)
Notes et références
[1] Obama a certes travaillé dans un sens social avec ses garanties santé. Mais il ne s’attaque pas à Goldman Sachs et aux têtes nocives de la finance anglo-saxonne. Obama, c’est l’alternance post-Bush. Blair, c’est l’alternance post-Thatcher. Hollande, c’est l’alternance post-Sarkozy.
[2] « L'organisation cosmopolite est absolument transversale à la classe » Monique Pinçon-Charlot
[3] « C’est une des dimensions décisives dans la violence symbolique et qui renvoie au vécu de tout un chacun. » Michel Pinçon
<<<<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, 21 septembre 2013 © • cjb • © >>>>>
Le perroquet de Flaubert
Flaubert, Louise Colet et le pavillon de Croisset
« La haine du bourgeois est le commencement de la vertu. » Gustave Flaubert [1]
Gustave Flaubert et Louise Colet
Exit la maison de Gustave Flaubert à Croisset, qui laissa la place d’abord à une usine de fabrication d’alcool puis à une fabrique de papier, autant de feuilles blanches pour écrivains. Tout ce qui subsiste de Flaubert est un petit pavillon de plain-pied, à quelque cent mètres de la maison disparue, où l’écrivain se retirait parfois. A l’extérieur, un morceau de colonne cannelé rappelle l’auteur de Salammbô. A l’intérieur, une seule pièce carrée présente des témoignages de sa vie, portraits et photos, objets divers ayant appartenu à Flaubert : pipes et pot à tabac, coupe-papier et encrier en forme de crapaud ouvrant une large gueule, le Bouddha jadis posé sur son bureau… Sur une armoire, trône un perroquet qui dut être d’un vert éclatant et qui en rappelle un autre, le Loulou de son roman "Un cœur simple".
"Un cœur simple" et le perroquet de Flaubert
Flaubert a souvent fait allusion à des perroquets, par exemple quand il explique à sa maîtresse Louise Colet l’attrait des pays étrangers quand, étant « enfants, nous désirons vivre dans la pays des perroquets et des dattes confites, » [2] lui dit aussi qu’on est tous oiseaux en cage comme « perroquets et vautours » [3] ou quand il compare la vanité à un perroquet qui « saute de branche en branche et bavarde en pleine lumière. » [4] Pour madame Bovary, il cherche un style qui « pourra dominer la voix des perroquets et des cigales. » Dans Salammbô, il met sur la poitrine des interprètes un tatouage de perroquet, d’autres personnages portent des perroquets sur l’épaule tandis que le petit lit d’ivoire a « des coussins en plume de perroquet, animal fatidique consacré aux Dieux. » Si Flaubert pourfend la bourgeoisie à travers le pharmacien Homais qui reçoit la croix d’honneur le remplissant de vanité, il sera à son tour atteint par le virus et fait chevalier de la légion d’honneur, suprême ironie et répétition digne d’un perroquet.
On le dit solitaire, on l’appellera même « l’ours de Croisset », et lui-même se compare à un ours –parfois à un ours blanc- a envie en juin 1845 d’acquérir un tableau d’ours sous lequel il aurait inscrit « Portrait de Gustave Flaubert. » L’année suivante, il installe sur le plancher de son cabinet de travail une peau d’ours blanc sur laquelle « il aime s’y coucher dans le jour », confie-t-il à Louise Colet. [5] Il avait ainsi, comme avec le perroquet et l’ours, des affinités particulières avec certains animaux.
Flaubert ne croyait pas au progrès moral et jugeait son époque stupide, plus encore avec la guerre de 1870. [6] Il l’a trouvait comme Homais le pharmacien, faite de progrès, de rationalisme, de science et d’imposture, faisant référence à celui qui proclamait qu’il fallait « marcher avec son siècle. » Il écrira aussi que « tout le rêve de la démocratie est d’élever le prolétariat au niveau de la bêtise bourgeoise. »
Il refusait cette manie de considérer une œuvre à l’aune de la biographie de l’auteur, désirant s’effacer, disparaître derrière elle, affirmant que « l’artiste doit s’arranger de façon à faire croire à la postérité qu’il n’a pas vécu. » Même s’il se reconnaît dans madame Bovary, il écrit, « dans l’idéal que j’ai de l’art… l’artiste ne doit pas plus apparaître dans son œuvre que Dieu dans la nature. L’homme n’est rien, l’œuvre tout ! » Il pense aussi que le style dépend avant tout du sujet traité, qu’il doit refléter les données objectives de la narration et qu’il constitue in fine « la vérité de la pensée. »
Notes et références
[1] Julian Barnes « Le perroquet de Flaubert », page 224
[2] Lettre à Louise Colet du 11 décembre 1846
[3] Lettre à Louise Colet du 27 mars 1853
[4] Lettre à Louise Colet du 9 décembre 1852
[5] Lettre à Louise Colet du 11 août 1846
[6] « Quoi qu’il advient, on restera stupides » écrivit Flaubert quand éclata la guerre de 1870
Voir aussi
* Maxime Du Camp, "Souvenirs littéraires", éditions Hachette, 1882-83, réédition 1999, Editions Aubier, 623 pages, gencod 978-2700716580
<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - 5 septembre 2013 - © • cjb • © >>>>>>>>
Elfriede Jelinek et le Winterreise
Référence : Elfriede Jelinek, "Winterreise", traduit de l'allemand par Sophie Andrée Herr, éditions Le Seuil, avril 2012, 168 pages, gencod 978-2-02-104942-8
Comme dans son roman le plus connu La Pianiste où la douce tristesse des "Lieder" de Schubert joue un rôle particulier, Winterreise reprend le titre d'une autre œuvre de Schubert Die Winterreise ( Le Voyage d’hiver ). [1] C'est d'abord une analyse de l’intime, douleurs affectives de sa relation à la mère et de la folie du père, une méditation sur cette condition humaine quasiment impossible, marquée par la solitude, la déchéance et la mort.
Sa critique sociale est dominée par la puissance de l’argent à travers des thèmes comme le culte du sport et des symboles comme la neige, les larmes, la girouette, le fleuve ou « la vielle ». Sa critique politique de son pays l'Autriche- s'articule autour du scandale de la banque Hypo Group Alpe Adria, de l’hypocrisie haineuse d'une opinion montée contre Natascha Kampusch ou du ski, sport autrichien par excellence. [2]
Winterreise, qu'elle considère comme une pièce de théâtre, est divisé en huit chapitres, sans didascalies, [3] écrit dans un style aux accents redondants, alternant le « nous » du collectif, d'une majorité bien pensante et pas toujours silencieuse et le « je » de l'individu dans toute sa singularité et qui s'oppose farouchement au « nous ».
Winterreise de Jelinek Le voyage d'hiver de Wilhem Müller [6]
Le temps n'est qu'une succession d'instants fugaces qui nous fuient, insaisissables à toute approche, à toute prise de conscience. Le temps d'y penser est déjà passé comme s'il existait une différence de nature, une incompatibilité entre l'individu et le temps. « On dit : c'est passé, et non : je suis passée. » Finalement, ce n'est pas le temps qui passe, c'est l'individu qui passe et se fait repasser, comme immobile dans un train devant le paysage qui défile. Le temps avance toujours, c'est sa nature, avancer, toujours comme but toujours renouvelé, sans objectif. Le chemin de la vie n'existe pas plus que les bonnes raisons des raisonneurs, « comme l'histoire ne connaît aucun but », faite d'évolutions imprévisibles qui strient les montagnes de pistes de ski ou constellent les villes de banques.
Elle veut être aimée aussi inconditionnellement qu'elle-même l'a été par sa mère, conforter, reporter le côté possessif de leur relation. Et il y a le père, incompréhension et rupture, la mère et la fille « n'ont rien à tirer de papa » lui fait-elle dire. (page 95) Ce père, conscient de sa démence, dont la mémoire se délite peu à peu, elles l'ont placé en institut, seul désormais, regrettant cette famille éclatée. Et elles, "ses" femmes, portent ce remords comme un poids intolérable, l'impression d'être prises au piège. Lui au moins est hors du temps, « c'est passé tout ce temps près de moi, et je ne l'ai même pas remarqué. » (page 130) Sa vie comme pour beaucoup d'autres est essentiellement constituée de passé.
Et puis, malgré tout, une petite lueur insensée, même s'il faut mourir un peu, se débarrasser de ses oripeaux, sans espoir « de retrouver ce que les gens ont laissé derrière eux, sur nos oreillers. » (page 141) Foin de la tranquillité, il faut s'étourdir tant qu'il en est encore temps, ne pas penser, descendre les pistes de ski jusqu'à épuisement. [4] Pour l'auteure, notre complétude dépend de l'équilibre entre vie et mort et renouvellement du passé, le temps n'étant qu'un « présent perpétuel. »
Rien de bien original dans son propos reconnaît-elle à la fin, simplement un irrépressible besoin d'écrire, [5] d'égrener sa petite musique de mots à la face du monde, de répéter sa vieille rengaine qu'elle enfonce comme un clou jusqu'à importuner tout son auditoire.
Notes et références
[1] Pour sa référence au Winterreise de Schubert, symbole de sa quête d'elle-même et de sa critique du monde, voir le livre de Wilhelm Müller, "Franz Schubert : Die Winterreise"
[2] Voir aussi la présentation de dans 14/04/2012
[3] Au théâtre ou au cinéma, une didascalie est une note ou un paragraphe, rédigé par l'auteur à destination des acteurs ou du metteur en scène, donnant des indications d'action, de jeu ou de mise en scène.
[4] « Avec une vie claire et joueuse, vous pouvez vous aussi calmer la douleur... » (page148)
[5] « ... Je n'ai plus le temps de manger. L'art est pour moi plus important. Pas le temps de vider mon assiette... » (page145)
[6] Voir Présentation
Scènes de Winterreise
Références bibliographiques
* Elfriede Jelinek, "La pianiste", éditions Jacqueline Chambon, 1988 et Le Seuil, Points n° 980
* Verena Mayer, Roland Koberg, "Elfriede Jelinek, un portrait", éditions Le Seuil, 2009Voir aussi
Présentation biographique sur le site Espace go
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Marc Dugain La Malédiction d'Edgar
Marc Dugain
La Malédiction d'Edgar est un roman biographique de Marc Dugain paru en 2005. Il retrace, par l’intermédiaire du narrateur le numéro 2 du FBI, la vie de John Edgar Hoover qui occupa le poste de directeur du FBI de 1924 à 1972.
Référence : "La Malédiction d’Edgard", éditions Gallimard, collection Blanche, mars 2005, 336 pages, gencod 978-2-0707-7379-4
« Kennedy eut le flair de ne pas négliger l’Amérique de l’intérieur, celle qui participe d’un mythe dont elle ne profite jamais. » (page 188)
Sur les sources, l’auteur entretient d’entrée l’ambiguïté puisque s’il semble que le roman soit bâti sur les souvenirs du numéro deux du FBI Clyde Tolson, il laisse entendre que c’est peut-être un faux, avouant « J'avais acheté ce manuscrit sans en avoir lu une ligne. Faux, il m'intéressait autant que vrai.... La prétendue objectivité d'un mémorialiste est aussi nuisible à la vérité que l'intention de falsifier les faits ». Les souvenirs ne sont donc qu’une vérité recomposée, consciente selon l’objectif poursuivi, inconsciente au gré des caprices de la mémoire.
Le roman est en fait centré sur les relations singulières entre un service spécial comme le FBI, l’autocrate qui le dirige et le pouvoir politique représenté à l’époque par le président Roosvelt puis par la puissance du clan Kennedy, le père Joe Kennedy, arriviste et mégalomane, et l’élection à la présidence des États-Unis de John Fitzgerald Kennedy son fils puîné, avec les intrigues et la face cachée du pouvoir politique américain.
On assiste à la montée en puissance de cette famille fascinée par le pouvoir, l’argent confortant l’assise politique, les liens du père Joe Kennedy avec la mafia, les frasques sexuelles d’un président qui collectionne les aventures amoureuses, plus "dom juan"que bon amant. Le père est aussi important que gênant, très pro-allemand, que le président Roosvelt éloignera en le nommant ambassadeur en Grande-Bretagne juste avant la guerre. Le fils John qui a pendant la guerre une liaison assez sulfureuse avec Inga Arvad une belle danoise accusée d’espionnage en faveur de l’Allemagne.
John Edgar Hoover aurait profité de cette situation pour accentuer la lutte contre le communisme, sans obsession, au détriment de la lutte contre la corruption et la mafia, laissant à dessein pourrir la situation. Pour lui, tous les moyens sont bons pour atteindre ses buts, quitte à espionner et à violer la vie privée de toutes les personnes importants, se justifiant par la nécessité d'être informé sur les détenteurs du pouvoir, même s’il faut ensuite dénoncer leur conduite et leur nuire. Il aurait ainsi été mêlé à la conspiration qui a abouti à l’assassinat du président Kennedy.
Edgar Hoover dans son bureau
De son vivant, John Edgar Hoover a déjà été un homme très controversé. Accro du pouvoir, il en détestait les côtés aléatoires, le fait de devoir rendre des comptes à des électeurs dont il faisait peu de cas, devoir à ce peuple d’électeurs qu’il détestait et qui pouvait à intervalles réguliers menacer sa position et la réalité de son pouvoir. Il devint en presque un demi-siècle de règne, omnipotent et incontournable, tissant sa toile autour du président en exercice et éliminant par là-même toute autorité du ministre de la justice, pourtant son supérieur hiérarchique, devenant ainsi « l'unique mesure de la pertinence morale et politique.» Il s’est voulu le garant de la morale d’une certaine Amérique blanche, utilisant tous les moyens légaux ou pas pour , à travers des comptes rendus d'écoute et des fiches de renseignement, monter des dossiers –compromettants si possible- sur tout ce que le pays compte de personnalités influentes. Sans doute le secret de sa longévité à la tête du FBI.
Avec Harry Truman, les choses se gâtèrent. Ses dossiers à charge lui permirent de sauver son poste mais le soutien actif à Dewey le candidat républicain en 1948 n’arrangea rien. Truman essayera de le piéger en lui offrant le ministère de la justice… pour qu’il fasse le ménage et pouvoir ainsi le déconsidérer, mais il refusa. Hoover étoffa patiemment ses dossiers, laissant toute liberté à la mafia, jouant un rôle majeur dans le développement du maccartisme et la chasse aux communistes supposés. Ils gardèrent un œil sur les Kennedy et justement, le vieux Joe avait repris du service. Il a "acheté" une circonscription [1] à John qui fut quand même obligé de se battre pour gagner la primaire démocrate, ce qu’il traduira par « je dois bien avoir quelques qualités que mon père, malgré tout son fric, n’est pas en mesure d’acheter. » [2] La présidence républicaine d’Eisenhower fut par contre pain béni pour Edgar Hoover. Browner le nouveau ministre de la justice devint un ami, les liens se resserrèrent encore avec le vice-président Richard Nixon et les amis milliardaires texans furent récompensés par de nouvelles concession pétrolières de leur dons généreux à la campagne présidentielle. Il abandonna sans vergogne son ami le sénateur Mac Carthy sur le déclin. C’est alors que survint l’affaire Julius Rosenberg, déterrée par le FBI et qui n’eut de cesse de les faire condamner à mort.
Edgar Hoover et Clyde Tolson
Le moins qu’on puisse dire est que l’image des Kennedy n’est pas vraiment à leur avantage. John « traînait sa lassitude amusée d’héritier cynique, aigri de se devoir si peu. » Son frère Robert « était un petit jeune homme nerveux à la voix haut perchée dont le comportement de roquet, ne passait inaperçu pou personne. » Quant à Jacqueline Bouvier-Kennedy, c’est une arriviste contrairement à ce que pensait John, d’une beauté se résumant à son élégance, « les yeux trop loin l’un de l’autre, la poitrine presque enfoncée, des pieds trop grands et des jambes comme des cannes de billard. »
Joe Kennedy, le père et Robert "Bob" Kennedy
C’est une enquête sénatoriale qui obligea le FBI à investiguer la mafia alors que Hoover s’y était toujours étonné. Les écoutes illégales lui permirent de mettre à jour les relations entre mafieux et politiciens qui furent autant de pièces à conviction, de dossiers à opposer le cas échéant, aux politiciens. Hoover était ainsi en possession d’autant d’armes redoutables qui le rendaient redoutable, inamovible. Pour Hoover, John Fitzgerald Kennedy ne serait pas un président particulièrement redoutable. Après l’élection de John Kennedy, la nomination de son frère Robert comme ministre de la justice altéra profondément les relations avec Hoover et el FBI. Les deux hommes se détestaient et sur les actions à mener, Bob voulait privilégier la lutte contre al mafia plutôt que contre le communisme, la bête noire d’Hoover.
Contradiction qui aura des conséquences puisque Joe le père est lié à la mafia qui a soutenu John pendant la campagne électorale présidentielle, et connaît fort bien Giancana le chef mafieux qui devait tuer Fidel Castro juste avant le débarquement de la baie des Cochons. Il ne l’a pas fait et l’opération fut un fiasco. La tentative de rééditer cette opération n’aboutit jamais mais Bob poursuivit ses actions contre la mafia malgré les mises en garde d’Hoover et le rappel de l’aide mafieuse dans la victoire de John. Ceci d’autant plus que John Kennedy et le truand Giancana se partageait les charmes de la même maîtresse, la belle et lumineuse Judith Campbell Exner. La surveillance du FBI le mit sur la piste d’une énorme fraude sur l’attribution d’un marché public à l’avion F111 Gl Dynamics auquel le ministre Robert Mc Namara et John Kennedy auraient été mêlés. Mais bien sûr, l’enquête jamais n’aboutit.
Entre Edgar Hoover et le truand Meyer Lansky, c’est le modus vivendi, chacun possédant assez de dossiers pour neutraliser l’autre et expliquer la bienveillance d’Hoover et du FBI à l’égard du Milieu.
Les truands Sam Giancana et Meyer Lansky
Les Kennedy, le début de la fin
Lors de la crise cubaine qui vit la tentative d'implantation de missiles soviétiques, le président se mit à dos la hiérarchie militaire écartée des négociations et de la stratégie à mettre en application. Autres faits graves en rapport avec les pratiques sexuelles du président : l'une des ses maîtresses Ellen Rometsch est en fait une espionne est-allemande; la mort suspecte de Marilyne Monroë implique John Kennedy et surtout Bob son frère, qui ont été ses amants, une Marilyne alors en pleine dépression qui se répandaient sur les deux frères.
La théorie de l'auteur s'illustre dans cette phrase : « Kennedy est mort pat là où il avait péché; la mafia s'est substituée à l'Eternel. » Le FBI chargé de l'enquête est aussi chargé d'accréditer la thède du tireur isolé et part de cette idée empruntée à Hitler : « Plus un mensonge est gros, mieux il passe. » (page 267) Oswald était plus sûrement un leurre manipulé par des membres de la CIA et liquidé parla mafia pour s'assurer de son silence. Ce serait donc Marcello mafieux important et la mafia qui auraient organisé l'attentat, aidés de membres de la CIA et de groupes anti-castristes. [3] Clyde Tolson l'adjoint d'Hoover cherche à comprendre Bob Kennedy à travers la pensée d'Albert Camus à qui Bob s'était référé mais il est vraiment hermétique à l'écrivain français et à sa conception de l'existence.
Hoover professait un grand mépris pour Lyndon Jonhson et une véritable haine envers Bob Kennedy et une véritable haine envers Bob Kennedy. Son assassinat a les mêmes causes, repose sur la même technique que son frère : un isolé manipulé, Shiran Shiran, qui sert opportunément de bouc-émissaire. Le FBI savait tout ça, le rôle de chacun dans cette conjuration mais ne bougea pas. Hoover se contenta d'accumuler les documents, un joli matelas pour bien dormir et se protéger de ses ennemis.
Finalement, c'est son allié Richard Nixon qui aura sa peau en lui enjoignant de démissionner, de quitter son cher poste de directeur du FBI qui était toute sa vie. Mas, revers de l'histoire, la mort de John Edgar Hoover intervint quand éclata le scandale du Watergate, quand le président Nixon se vit accusé d'écoutes illégales, des faits qu’a commis Hoover toute sa vie.
Notes et références
[1] La 11ème circonscription comprenant Cambridge ainsi que les universités d’Havard et du MIT.
[2] John Fitzgerald Kennedy souffre de 2 handicaps : l’image de son frère aîné Joe junior, chouchou du père, mort en héros à la guerre, et sa santé fragile, souffrant parfois le martyr de sa colonne vertébrale qui s’effrite, dont on diagnostiquera qu’il est atteint de la maladie d’Addison
[3] La balle fatale ayant atteint John Kennedy à la tête aurait été tirée par un corse, un mercenaire du nom de Lucien Sarti
Extraits et citations
* « Dieu et la loi sont de la même essence… Mais le service du bien n’ouvre pas les portes de l’éternité. » page 27
* « La prétendue objectivité d’un mémorialiste est aussi nuisible à la vérité que l’intention de falsifier les faits. » page 19
* « Dans la vie, il y a ceux qui avancent et ceux qui excluent… Le pouvoir d’obstruer n’oblige jamais à rendre des comptes alors que celui de faire nécessite de se justifier en permanence.» page 42
* « La théorie de Freud repose sur l’idée qu’on est victime de soi-même, je trouve ça terriblement subversif. Tout devient excusable. » page 48
* « La compassion, c’est le modeste prix à payer pour se débarrasser du malheur d’autrui. » page 61
* « ... Les exigences de la politique où la duplicité s'exerce come un art. » page 279
Références et bibliographie
* La Malédiction d'Edgar, bande dessinée, dessins de Didier Chardez, en trois tomes, Casterman, 2007
* Interview de Marc Dugain à propos de son livre
<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - juillet-août 2013 - © • cjb • © >>>>>>>>