Le prince Zizim en Limousin
Le Grand Maître Pierre d'Aubusson reçoit le prince Zizim à sa table
Les mille et une nuits en pays limousin, c’est le curieux mélange qu’offre le XVème siècle finissant. Par quel clin d’œil de l’histoire, le prince Zizim frère du Grand Turc est-il venu échouer à Bourganeuf, petite bourgade du département de la Creuse, situé sur la route nationale entre Aubusson et Limoges. De Zizim, le vice-chancelier de l’ordre des hospitaliers, Guillaume Caoursin en dresse le portrait suivant : « Cet homme de 29 ans a la stature haute, une santé robuste, un visage fin, les yeux bleus un peu obliques sous des sourcils épais se joignant presque à la racine du nez, celui-ci aquilin déviant un peu à gauche, une bouche minuscule, des lèvres charnues, le menton pointu. Son teint est brun comme la peau d’une châtaigne, il a la tête grosse, les oreilles petites et le corps est chargé d’embonpoint. »
Tout commence par un chassé-croisé digne d’une comédie de boulevard entre les deux fils du défunt, le Sultan Méhémet II le Conquérant (el Fatih), l’aîné Bajazet et son cadet Djem dit Zizim. C’est le Grand Vizir qui joue à cache-cache avec les deux prétendants, voulant en fait avantager Zizim. Il fait revenir en cachette la dépouille du souverain pour faire croire qu’il n’est pas encore mort mais sa manœuvre est éventée. Zizim ne pourra revenir à temps dans le palais d’Istambul, Bajazet reviendra à temps aidé des janissaires qui feront un mauvais sort au Grand Vizir. Fin de l’acte I.
Le prince Zizim L'arrivée de Zizim à Rhodes (miniatures)
Désormais entre les deux prétendants, c’est la guerre. Zizim est d’abord victorieux mais bien vite il essuie plusieurs défaites à Bursa (la Brousse antique) puis après la reprise des combats à Angora (l’actuelle Ankara) en 1482. Zizim s’exile alors et trouve refuge auprès des Hospitaliers de l’île de Rhodes. Soucieux, Bazajet signe la paix avec Pierre d’Aubusson le Grand Maître de l’Ordre. Mais Zizim n’est pas rassuré pour autant et préférerait se réfugier dans le bon royaume de France sous la protection du roi Louis XI.
Or justement, l’Ordre des Hospitaliers est bien implanté à Bourganeuf, son importance étant due aux chevaliers de Rhodes. La cité devint une belle commanderie, résidence du grand Prieur et quatre d’entre eux devinrent Grands Maîtres de l’Ordre. [1] Ces deux derniers firent élever la grande tour qui porte maintenant le nom de Tour de Lastic et un peu plus loin, une large tour ou Tour Zizim, bâtie justement pour accueillir dignement leur illustre hôte.
Zizim à Bourganeuf (tableau de Bernard Bigey)
Logé au château de Boislamy vers Bonnat en attendant que la construction fût terminée, Zizim s’installa au troisième étage de la tour avec sa suite, y apportant tout le luxe et le raffinement orientaux. Du haut de ses six étages, la tour exhibe fièrement sa charpente en chêne à 3 niveaux, son escalier à vis taillé dans l’épaisseur des murs et menant à la plate-forme, son ensemble de créneaux et de pierres décorées en saillie (ou pierres en bossage). Telle est sa prison dorée, prison quand même car un hôte de son importance est constamment surveillé, aussi bien pour sa sécurité que pour ce qu’il représente. Il a parfois quelques velléités d’aller de nouveau défier son frère Bazajet tout en baignant dans une ambiance raffinée, rehaussée d’un petit harem, et s’adonnant à la chasse dans les bois alentour giboyeux.
Les tours de Bourganeuf
En fait, ce que redoutent le plus ses gardiens, sont les tentatives d’enlèvement. Zizim reste un enjeu, une pièce maîtresse sur l’échiquier politique de l’Europe d’alors. De subtiles manœuvres se déroulent constamment, qu’il faut déjouer, qu’elles proviennent du duc René de Lorraine, de Matthias Corvin le roi de Hongrie, alors à la frontière de l’empire turc… Zizim est devenu un pion diplomatique majeur que tout le monde voudrait s’approprier, un épouvantail aussi, prétendant au trône pour son frère Bajazet et les ottomans.
C’est le pape Innocent VIII, toujours obnubilé par la croisade, qui aura le dernier mot et finir par récupérer le précieux Zizim. Pierre d’Aubusson et le roi Charles VIII vont céder devant l’insistance du pape. Le 10 novembre 1488, un long cortège de 400 hommes quitte Bourganeuf, emmenant Zizim à Rome via Toulon. Dès lors, le pauvre Zizim sera ballotté au gré des aléas politiques, pris entre le nouveau pape Alexandre VI Borgia, successeur d’Innocent VIII et le roi Charles VIII dont les armées victorieuses entrent à Rome le 31 décembre 1494. Il finira par être, comme l’écrit le grand chroniqueur de l’époque Philippe de Commynes « baillé empoisonné » le 25 février 1495. On accusa bien sûr les Borgia qui savaient si bien manier le poison mais, ce qu’on peut affirmer, c’est que le grand bénéficiaire de cette disparition soudaine fut son frère Bajazet. L’un n’empêchant pas l’autre d’ailleurs, le sultan Bazajet ayant pu grassement rémunérer de leurs services des Borgia plutôt vénaux.
Mais, ironie du sort ou juste retour des choses, le sultan Bajazet finira lui aussi empoisonné par son fils Sélim le Cruel en 1512.
Intérieur de la tour Zizim
Notes et références
[1] Les quatre Grands Maîtres de l’Ordre furent successivement Jean de Lastic, Jacques de Milly, Pierre d’Aubusson et son neveu Guy de Blanchefort
Sur le Limousin, Voir aussi
* L'or du Limousin * Limousin D'un lac à l'autre
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