Gabriel Chevallier de Lyon à Clochemerle
L'écrivain Gabriel Chevallier (3 mai 1895, Lyon - 6 avril 1969, Cannes)
Gabriel Chevalier Musée Gabriel Chevalier à Clochemerle Gabriel Chevalier
Gabriel Chevallier dites-vous... Ah bien sûr, la pissotière de Clochemerle qui a rendu célèbre de Vaux-en-Beaujolais, le village où est censée se dérouler l'action... L'auteur s'en défend, mais que peut-il contre la "vox populi" ! Son roman haut en couleurs et truculent, par son succès même a largement effacé l'auteur et son œuvre. La meilleure et la pire des choses pour Gabriel Chevallier qui s'en est expliqué dans un autre ouvrage intitulé L'envers de Clochemerle en 1966.
Sa jeunesse, Gabriel Chevallier l'a égrenée dans les deux tomes de ses Souvenirs apaisés. Dans Chemins de solitude, il évoque son enfance lyonnaise, sa vie dans un agréable quartier du 5ème arrondissement, le Vieux-Lyon, entre ses parents, son père clerc de notaire, « fils d'une bourgeoisie un peu déclinante qui avait eu des revers depuis une trentaine d'années. »
Il se penche sur le temps de son enfance, cette "belle époque" de l'avant-guerre qu'il appelle « l'âge du pétrole, » lui trouvant un air désuet certes, mais lui reconnaissant aussi une « certaine tenue. » Puis une adolescence gâchée par la guerre qui le marquera à jamais [1] Il va la régurgiter 'sa' guerre dans son roman La Peur paru en 1930, [2] une œuvre saisissante dont son ami Bernard Clavel dira que c'est une peinture d'une telle intensité qu'elle parvient à transcrire la terrible réalité. [3]
Son après-guerre sera faite de petits boulots [4], une vie de bohème en ces « temps incertains », un monde englouti par la guerre et plein de désillusions. Pour sa bande de copains conduite par Henri Béraud, c'est l'époque de la brasserie du Nord ou de la taverne La Ratière située derrière l'Hôtel-Dieu près des quais du Rhône, c'est aussi le temps de la peinture avec le groupe des Zignards de Marius Mermillon. [5] Car sa vocation fut d'abord la peinture. A16 ans, il fréquentait déjà l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon mais la guerre interrompit brusquement sa formation.
De Lyon il disait que « c'est une ville de peintres. Son ciel, ses perspectives, ses fleuves et ses environnements prédisposent à l'expression plastique. » Il cherchait alors cette lumière miroitante que traquera plus tard Bernard Clavel sur les bords du Rhône à Vernaison. Ils mettront tous les deux un peu de temps à s'apprivoiser et Bernard Clavel dira toute sa détresse lors de la disparition de son ami qui l'avait incité à partir pour Paris tenter sa chance.
Repères bibliographiques
* La série des "Clochemerle" : Clochemerle (1934), Clochemerle-Babylone (1951), Clochemerle-les-Bains (1963), L'envers de Clochemerle (1966);
* "La Peur", 1930, rééditions PUF 1985, LGF 2010
* "Lyon 2000", éditions PUF, juillet 1958
Oeuvres de Gabriel Chevalier
Références
- Croix de guerre 14-18 et chevalier de la Légion d'Honneur.
- « On enseignait dans ma jeunesse — lorsque nous étions au front — que la guerre était moralisatrice, purificatrice et rédemptrice. On a vu quels prolongements ont eu ces turlutaines : mercantis, trafiquants, marché noir, délations, trahisons, fusillades, tortures; et famine, tuberculose, typhus, terreur, sadisme. »
- Gabriel Chevallier a 19 ans en 1914, quand la guerre éclate. Il s’engage dès le premier jour. Simple soldat dans l’infanterie, il est blessé après un an de guerre, pendant la bataille d’Artois. Après un séjour à l’hôpital il retrouve les tranchées. Il y reste jusqu’à la fin de la guerre, au Chemin des Dames et dans les Vosges.
- Il exerça divers métiers tels que retoucheur de photographie, voyageur de commerce, journaliste, dessinateur, affichiste, professeur de dessin…
- Le groupe des Zignards comprenait aussi Jacques Martin, Adrien Bas, Charles Sémard, Philippe Pourchet...
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Pascal Quignard à Sens
RAPPEL : Né en 1948 à Verneuil-sur-Avre dans l'Eure, Pascal Quignard est l'auteur de « Tous les matins du monde» en 1991, qu'Alain Corneau a porté à l'écran, « Terrasse à Rome » qui a obtenu le grand prix de l'Académie française en 2000, « les Ombres errantes » prix Goncourt 2002 et « Villa Amalia » en 2006, que Benoît Jacquot a adapté au cinéma. Il se partage entre les Buttes-Chaumont parisiennes et son domaine de Sens.
Depuis « Tous les matins du monde », Pascal Quignard pense avec nostalgie la patine du bois verni de ses précieux instruments, mais une page est tournée, il faut se délester des objets et du poids du passé. Avec les rhumatismes, les joies du violoncelle, le plaisir de jouer des petits bijoux de Bach ou de Haydn sont bien loin désormais, ainsi lui reste-t-il quand même deux pianos droits quand « je m'offre, à moi seul, des concerts fabuleux. Dommage que mes chats, comme Flaubert et Freud, détestent la musique et en particulier le piano... »
Sens : l'hôtel de ville et le maison d'Abraham
Œuvre de longue haleine, le « Dernier Royaume » s'enrichit d'un septième et nouveau tome « les Désarçonnés », dans lequel Pascal Quignard dresse le portrait d'hommes qui reviennent de loin , entre problème de santé et dépression nerveuse. C'est chez lui à Sens qu'il fait le point, évoquant son dernier roman.
Chez lui à Sens, c'est l'été, l'éclat de l'air et ses odeurs emmêlées. On peut le rencontrer dans son jardinet où s'étalent rosiers et hortensias dans des camaïeux de roses et de blancs, où l'on entend l'eau d'une rivière qui bruit doucement. Pascal Quignard,vêtu de noir, qualifie son domaine de « petit Port-Royal-des-Granges ». C'est ici qu'il vit depuis qu'en 1994 il a quitté ses autres activités pour se donner à l'étude et à la littérature car dit-il « ici, je me suis senti protégé. J'étais à la fois au cœur d'une ville de province et hors d'atteinte. J'aime habiter sous un pont, qui s'appelle le pont du Diable, et dans la seule compagnie des chauves-souris. » Il faut dire aussi qu'il a frôlé la mort en 1996, victime d'une terrible hémorragie pulmonaire, emmené en urgence à l'hôpital Saint-Antoine, vomissant son sang. Parcours initiatique exemplaire pour un écrivain.
Il en parle maintenant avec le recul convenant au créateur, une expérience qu'il qualifie d'agréable, « pas du tout douloureuse. » Après cette curieuse expérience, dans cet état particulier où il se sentait partir en douceur, « dans un épuisement... consenti », qu'il commence à rédiger sur son lit d'hôpital son " Vita Nova " dont le personnage central n'est autre que Martine Saada, la femme qu'il aime et à laquelle il dédie ce vécu très particulier. Il met dans ce livre tout son savoir-faire, exploitant toutes les formes littéraires, contes, traités, portraits, lectures, souvenirs, mélangeant les genres avec quelques pointes d'histoire et bien sûr la musique. Ce fut le début de sa grande "saga" Dernier Royaume. Le miraculé part à Sens, recherchant une certaine disparition, s'enfouissant dans les arcanes de ce Dernier Royaume dont ajoute-t-, « l'enchevêtrement des chapitres m'évoque d'ailleurs celui des maisonnettes que Martine et moi avons réunies ici, avec, au bout du jardin, le rivage de la mort.»
Depuis son œuvre a grandi et grossi également puisque le « Dernier Royaume» compte maintenant plus de 2400 pages, et qu'en cette fin 2012 le tome 7 vient de paraître, beau, intime mais aussi sauvage et violent. [1] On y côtoie toujours et encore les guerres, les tueries, les déportations. La métaphore équestre reprend son expérience existentielle de la mort, des hommes « qui tombent au galop de leur vie, » symbole d'autant plus fort pour lui qu'il rappelle que la chute signifie aussi renaissance possible et que Saint Paul, Abélard, Montaigne ou Agrippa d'Aubigné se sont mis à écrire après avoir eux aussi été désarçonnés.
Une jeunesse difficile
Il a été "un enfant difficile" comme on dit, très difficile même puisqu'il a longtemps refusé de parler, d'obéir et de manger, limite mutique et anorexique. Ce fut comme une volonté de se détruire car « quand on ne vous aime pas, avoue-t-il la voix sourde, on disparaît. Lorsqu'on vient au monde avec le sentiment qu'on n'est rien et que le contenant ne veut pas du contenu, on s'efface. » [2] Tout petit déjà, il sentit qu'il n'était pas désiré et à l'âge de deux ans précise-t-il, fit sa première dépression nerveuse
Depuis, d'autres se sont produites, un domaine où il est devenu expert, définissant la dépression à travers deux critères : ne plus pouvoir lire et durant au moins 6 mois. Alors, son dilemme est simple : selon le cas, l'affronter ou la fuir. Mais il est parvenu à vire avec, à la domestiquer et ne le paralyse plus. De s'être établi à Sens l'a beaucoup aidé, « d'avoir quitté, il y a vingt-cinq ans, le circuit social où tant de mes amis continuent d'accepter d'être domestiqués, de subir ce que La Boétie appelle la "servitude volontaire", me rend beaucoup plus apte à l'affronter. Car rien d'extérieur ne pèse sur mes épaules.»
Avec le temps, il a retrouvé une certaine sérénité, disant « je ne suis jamais plus heureux qu'en étant absorbé par un paysage, bouleversé par une tête de cheval ou de chat, qu'en cessant d'être moi.» Deux nostalgies ombrent encore son existence, de n'avoir pas prolongé la longue lignée des Quignard organistes, vieille de quelque deux siècles et d'avoir délaissé la philosophie comme le lui conseillait son maître Emmanuel Lévinas.
Sens, sa thébaïde
Il concède n'avoir aucun atome crochu avec son époque. Renoncement et rejet d'internet, il s'est fait chat. De chez lui, on entend les cloches de la cathédrale, l'heure se fait lointaine et il peut s'adonner à sa devise otium et libertas. (Loisir et liberté) Autre nostalgie quand il évoque son oncle Jean Bruneau, grammairien, amateur de Flaubert et rescapé de Dachau, qui lui fit don de tout son amour quand il souffrit des affres de l'enfance. Ces souvenirs le ramènent encore à sa jeunesse, les études dans des baraquements de fortune au Havre, ville rasée et reconstruite, renaissant de ses cendres -c'est vraiment le thème central des "Désarçonnés"- « Le Havre où j'ai été élevé par une jeune Allemande qui venait d'une autre ville éradiquée, Cologne. Il sera temps pour moi de boucler alors la boucle de mes ruines.»
A Sens, il se balade le long d'un chemin de halage en pensant à ces chevaux attelés de cordes qui tiraient d'énormes bateaux, ces chevaux qu'il ne monte pas mais qui le fascinent, « le seul animal, écrit-il, que l'homme ait toujours estimé plus beau que soi.» Il se sent comme George Sand qui avait baptise sa jument du nom de Colette et avait appelé l'absence son coin secret à Nohant.
Notes e références
- ↑ "Les Désarçonnés" de Pascal Quignard, éditions Grasset, 342 pages, septembre 2012
- ↑ Interview parue dans le Nouvel Observateur le 6 septembre 2012
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CJB fiche synthèse des articles
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Albert Camus et l’Espagne
« C'est en Espagne que ma génération a appris que l'on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l'âme et que, parfois, le cour age n'obtient pas de récompense. C'est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d'hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. »
Albert Camus
Dès l’enfance Albert Camus entretient un rapport particulier avec l’Espagne. Sa grand-mère et sa mère sont d’origine majorquine, il ira d'ailleurs faire un voyage aux Baléares- et ses premières années baignent aussi dans cet univers. Plus tard, il sera attiré par la littérature espagnole, en particulier Cervantes, Tirso de Molina et Lope de Vega. L'Espagne sera toujours présente dans son esprit, que ce soit dans sa première pièce écrite collectivement mais où on reconnaît bien son empreinte Révolte dans les Asturies [1] en 1934, qui fait référence aux événements de la deuxième République et ensuite L’État de siège [2] dans une Espagne marquée par la révolte et l'absurde. Il sera aussi toujours aux côtés de mouvements anarchistes qu’il soutiendra tout au long de sa vie.
Rencontres méditerranéennes
Les XXIes Rencontres méditerranéennes Albert Camus qui se sont tenues en 2004 [3] ont abordé la question de "l'hispanité camusienne", des origines plus levantines que castillanes semble-t-il, et les influences de cet état de fait non seulement dans son œuvre mais aussi dans les notes de ses Carnets et dans ses adaptations de La Dévotion à la Croix, de Calderon de la Barca ou Le Chevalier d'Olmedo de Lope de Vega. Ses nombreux articles aussi témoignent de son engagement, de ses prises de position en faveur de l'Espagne, déjà dans Alger républicain en 1938 puis dans des journaux et revues comme Combat, Preuves ou Témoins et concrétisent sa détermination de militer en faveur de la liberté de penser, de défendre ses convictions et la dignité de l'être humain.
Ils illustrent son soutien indéfectible à ceux qui souffrent, dans leur chair et dans leur pensée : " Ce que je dois à l'Espagne... symboles cette amitié dans l'Espagne de l'exil. [...] Amis espagnols, nous sommes en partie du même sang et j'ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s'éteindra pas. " (Ce que je dois à l'Espagne, 1958) Ainsi, il est présent parmi ceux qu'il considère comme des frères, restant toujours fidèle « à la beauté comme aux humiliés. »
Albert Camus ou l’Espagne exaltée
Le 22 janvier 1958, tout juste de retour de Stockholm ou il vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Albert Camus part rejoindre les républicains espagnols en leur disant : "Je ne vous abandonnerai jamais et je resterai fidèle à votre cause !"
D'origine espagnole par sa famille maternelle, il aima avec "désespoir" cette mère fragile et ce foyer espagnol qu'était Bab-el-Oued qui lui rappelaient l'Espagne. Il reçut comme un coup au cœur la guerre civile et la victoire du franquisme. Il y voyait des "ennemis de la liberté" et lutta constamment contre ce régime totalitaire et ceux qui comptaient composer avec lui, dénonçant l'irresponsabilité des Alliés lors du conflit mondial dans un pays où disait-il, "l'honneur avait encore tout son sens", rompant tout lien avec l'Unesco quand l'Espagne fut admise à l'ONU. [4]
« Tout comme il fut un Espagnol discret, il se montra un communiste discret » écrit Javier Figuero [5] Ses liens furent encore resserrés lors de sa longue liaison avec l'actrice espagnole Maria Casarès et il ressentait cette séparation avec ce pays où il refusait de se rendre, comme une forme "d'exil". Son engagement aux côtés des Républicains espagnols eut des répercussions sur son œuvre dont la plus importante fut sa pièce de théâtre "espagnole" -puisqu'elle se déroule à Cadix- L'État de siège".
Camus et son engagement libertaire
Pour Albert Camus, la souffrance des peuples tombés sous le joug totalitaire était une préoccupation essentielle, aussi bien en Espagne que dans l'Europe communiste de l'Est où ses écrits furent toujours reçus avec chaleur. Pas de calculs, d'opportunisme dans son engagement, il dénonce tous les abus qu'ils viennent des staliniens en Europe de l'Est ou de l'excès des politiques libérales des pays capitalistes.
Ses éditoriaux en témoignent qui combattent parfois où la liberté est menacée, quand il écrit : « Je n'excuserai pas cette peste hideuse à l'Ouest de l'Europe parce qu'elle exerce ses ravages à l'Est, sur de plus grandes étendues ». Pas étonnant dès lors qu'il fut autant attaqué. Sur l'Espagne, il n'a jamais varié d'un iota, fustigeant la régression du franquisme, [6] dénonçant tous ceux qui pactisaient avec ce régime totalitaire, étant constamment aux côtés des espagnols exilés, répondant à leurs sollicitations quand il fallait aider ou prendre la parole. [7]
Avec Fernando Gomez Pelaez, [8] il fait campagne dans les colonnes de Solidaridad Obrera pour la libération des espagnols antifascistes séquestrés à Karaganda. Il fut intransigeant face à un d'Astier de la Vigerie qui sous prétexte des horreurs du phalangisme, voulait excuser ce qui se passait à Moscou. De même, il mit les choses au point avec le philosophe Gabriel Marcel mécontent de sa pièce L'État de siège, qui justifiait le régime de Franco sous prétexte que le stalinisme était pis encore. [9]
Dans ce domaine, pas de compromis et les laxistes ne trouvaient pas grâce à ses yeux. On le trouvait toujours présent dans ses écrits autant que sur le terrain lors des campagnes d'aide -celle de la grève générale de Barcelone par exemple-, pour participer à l'action comme dans le cas des militants anarchistes condamnés à mort-, pour la protestation -dans es discours devant les exilés espagnols ou pour dénoncer l'entrée de l'Espagne à l'Unesco. N'a-t-il pas écrit que « le monde où je vis me répugne, mais je me sens solidaire des hommes qui y souffrent ».
Notes et références
[1] Voir ma fiche Révolte dans les Asturies
[2] L'État de siège, l’intégral de la pièce
[3] Les rencontres méditerranéennes, octobre 2004, Lourmarin, Collection Les écriture du sud, éditions : Edisud, parution 09/01/2005, auteurs : Collectif Christiane Chaulet, Achour Rosa de Diego, Franck Planeille et Frédéric-Jacques Temple
[4] Camus 1952, La lettre à l’UNESCO
[5] Javier Figuero, "Albert Camus ou l'Espagne exaltée", éditions Autres temps
[6] Voir l'article L’Espagne et le donquichottisme, Camus, octobre 1957
[7] Voir Albert Camus, article de Combat 1944, Nos frères d’Espagne
[8] Voir Fernando Gomez Pelaez, Le Monde Libertaire n° 57, février 1960
[9] Voir Pourquoi l’Espagne ?, article de Combat 1948, Réponse à Gabriel Marcel
Voir aussi
* L’engagement de Camus : note sur l’Espagne
* Albert Camus : l’exigence morale pages 111 et suivantes
* Discours prononcé devant des réfugiés espagnols ayant fui le Franquisme, 1958, extrait
* Camus l’artiste, colloque de Cerisay 2013
* Actuelles II : "L'Espagne et la culture", discours salle Wagram le 30 novembre 1952
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Mordillat Les vivants et les morts
Référence : Gérard Mordillat, "Les vivants et les morts", éditions LGF, février 2006, Grand Prix RTL-Lire 2005
« Quelque chose de toi sans cesse m’abandonne,
Car rien qu’en vivant tu t’en vas. »
Anna de Noailles, Les vivants et les morts
Avant, les hommes étaient entraînés malgré eux dans des guerres de conquêtes, de religions… maintenant c’est la guerre économique qui les menace et peut aussi tuer. Rudi et Dallas ouvriers à la Kos, une usine de fibre plastique, sont de ceux-là.
Leur usine a déjà connu des soubresauts comme cette énorme inondation où elle avait failli sombrer, sauvée finalement par le courage et la volonté de ses ouvriers. Mais cette fois, ce sont les stratégies mondialistes d’une holding internationale qui s’attaque à elle et programme sa destruction. Seul le brevet de fabrication, le procédé pour produire de la fibre plastique, l’intéresse. Le reste, l’entreprise, l’outil de travail, les hommes et les femmes, doit être sacrifié à la logique de la division internationale du travail.
Fin d’une mort annoncée. Mais les ouvriers de la Kos ne l’entendent pas ainsi. Pas question de mendier quelques avantages complémentaires dans une grève sans espoir, ils veulent plus, contre vent et marée, ils veulent sauver la Kos et leur emploi. Combat perdu d’avance juge les responsables économiques et politiques, il faut sauver les meubles. Eux veulent sauver la Kos.
Leur révolte va tourner vinaigre quand d’occupation en manifestations, l’affrontement avec les forces de répression fera des blessés et des morts. La ville de Raussel est moribonde sans la Kos, son poumon économique, dans certaines familles les membres s’affrontent, pris entre la volonté d’espérer malgré tout et de continuer le combat malgré tout, un tissu social qui vole en éclats, autant de morts collectives. Les morts sont autant ceux qui ont été tués dans les affrontements que cette ville morte, ville fantôme qui ne se remettra sans doute jamais de cette terrible épreuve.
Images du téléfilm sur Arte "La Kos vivra"
Reste cette solidarité irremplaçable entre ces hommes qui luttent pour leur survie, qui auront au moins vécu une expérience irremplaçable et pourront sortir la tête haute d’un conflit où ils auront appris que dans la logique de la lutte économique, il faut tuer l’autre. Crime symbolique qui pour eux n’a rien de théorique, où ils ont l’impression à chaque instant de la lutte de jouer leur avenir, cet avenir dont ils sentent bien qu’on veut leur voler et que, derrière les beaux discours et les promesses, se cache l’impuissance des forces socio-économiques locales et des pouvoirs publics. Reste aussi ce principe fondamental de leur dignité : « Ceux qui se battent, qui luttent sont les vivants. Les morts sont ceux qui acceptent leur sort. »
Citations et critiques
« Histoire sociale, histoires d'amour qu'on dévore entre frisson, horreur et passion, voilà un livre-monde, un livre-vie comme on en lit peu dans la littérature française d'aujourd'hui. » Télérama.
« On ne peut pas seulement se rêver et mourir sans avoir vu ses rêves s'accomplir. »
« J’ai du travail ; mais c’est vrai que ce travail me permet seulement d’assurer ma survie pour que je puisse continuer à travailler ; je suis propriétaire de ma maison ; mais c’est vrai que je ne le suis qu’en apparence, en réalité, c’est la banque qui l’est ; je suis libre d’aller où bon me semble ; mais ça, ce n’est vrai qu’en théorie car j’ai pas un sou vaillant pour me déplacer ; j’ai la liberté d’expression, mais chacun sait que s’exprimer publiquement sur l’entreprise qui vous emploie c’est ouvrir soi-même la porte d’où on vous poussera dehors... je suis un esclave, nous sommes des esclaves. »
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