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Révoltes et bonnets rouges

La révolte des bonnets rouges rappelle les révoltes sporadiques  sous l’ancien régime quand le peuple se soulevait soudainement, laissant éclater sa colère contre le pouvoir royal, appelant souvent à une émeute fiscale, à se soulever contre le diktat royal en matière d’impôts.

 

1- la révolte des Maillotins

Ces révoltes sans lendemain furent assez nombreuses et les plus importantes sont restées dans l’histoire. Pendant la guerre de Cent Ans, une taxe mal venue provoque à Paris la révolte des Maillotins après d’autres incidents graves comme la révolte des «Tuchins» en Languedoc et celle des «Hardelles» à Rouen.

La révolte des Maillotins, caricature

 

Le 1er mars 1382, les bourgeois de Paris, marchands, artisans et notables, s'assemblent et prennent à parti les agents du fisc : c'est le début de la révolte des « Maillotins », la plus importante des révoltes fiscales qui a marqué la fin du Moyen Âge en France. Ils s'emparent de l'Arsenal et de l'Hôtel de ville dans lequel ils s’emparent de quelque deux mille maillets de plomb entreposés comme munitions, d'où leur surnom de «Maillotins.») Ils envahissent les rues de la capitale, s'en prennent aux juifs et aux percepteurs. Le roi Charles VI étant mineur, ce sont ses oncles Louis d'Anjou, Jean de Berry, Louis de Bourbon et Philippe de Bourgogne qui assurent la régence et en profitent pour lever de nouveaux impôts comme cette nouvelle taxe sur les comestibles concoctée par le duc d'Anjou. Dans un premier temps, le pouvoir recule mais après la victoire de Rosebeck et l’entrée du roi à Paris, les impôts sont rétablis et la répression sera violente, la plupart des « meneurs » seront pendus. [1]

       

La révolte des Maillotins, miniature du XVe siècle

 

2- la révolte des Cabochiens

Un peu plus tard, la révolte des Cabochiens est désamorcée par le roi Charles VI qui va jusqu’à coiffer le capuchon des insurgés avant de se retourner contre eux et leur protecteur, le duc de Bourgogne. Le 27 avril 1413, les artisans et bourgeois de Paris se soulèvent à l'appel du duc de Bourgogne Jean sans Peur. Ceci va provoquer une guerre civile et la reprise de l'invasion anglaise qui verra les troupes françaises écrasées à Azincourt deux ans plus tard. Le meneur est l'écorcheur Simon Caboche (d’où le nom donné à cette révolte), et avec ses partisans et ceux du duc Jean, ils attaquent la Bastille (déjà !) où s'est retranché le prévôt de Paris Pierre des Essarts qui sera finalement exécuté.

 

Début août 1413, les cabochiens sont exterminés, le duc Jean s’enfuit, les nouveaux maîtres sont le parti des Armagnacs. Le nouveau maître de Paris le comte Bernard VII est nommé connétable par la reine Isabeau de Bavière et en septembre 1413, il s'empresse d'annuler « les ordonnances cabochiennes ».

La révolte des cabochiens, par Martial d'Auvergne, enluminure, XVe siècle, Vigiles de Charles VII, Paris

La révolte des Cabochiens, enluminure du XVè siècle, Martial d'Auvergne

 

3- Révoltes et refus de l'impôt

Les deux exemples précédents l’attestent, le refus de l'impôt représente une grave menace pour un pouvoir politique qui n’a généralement le choix qu’entre la répression ou la démission. Au XVIIe siècle, après la période noire des guerres de religion qui perdurent de façon sporadiques pendant une partie du règne de Louis XIII, tandis que ses deux ministres Richelieu et Mazarin renforcent son autorité, les révoltes fiscales sont une réponse à la misère sociale et aux inégalités criantes qui ont tendance à croître. Tels sont le cas des Croquants du Périgord ou aussi les Nu-pieds de Normandie qui n’inspirent que du sarcasme à la classe dirigeante. Le roi fort de ses forces de répression et de sa légitimité, ne saurait prendre en compte ces revendications, c’eut été déchoir que de discuter avec eux, et réprime sans pitié ces mouvements. La dernière et  grande révolte fiscale du siècle, la révolte des Bonnets rouges sera réprimée de la même manière que les précédentes.

La Révolte Des Croquants - Les Chefs Des Révoltes Populaires Dans Le Périgord Du Xviie Siècle de Jacques Dubourg                          

Révolte des Croquants, Périgord, XVIIè siècle             "Jacquou-le-Croquant"

 

Par contre, pendant le règne de Louis XVI, la situation est bien différente, la monarchie est confrontée à des difficultés grandissantes, placée sous la coupe de puissants financiers qui collectent l’impôt par l’intermédiaire de la Ferme générale. Quand un homme comme Turgo, contrôleur général des finances, prend des mesures énergiques et se résout à faire exécuter deux jeunes meneurs lors de la guerre des farines, il est désavoué par les libéraux et le roi, doit démissionner et les réformes indispensables sont ainsi renvoyées aux calendes grecques.

La Révolution eut cette vertu de légitimer le recours à l’impôt, d’en faire une « ardente obligation » civique, tendance qui se poursuivra sous la République, la monarchie ou l'Empire, liant l’impôt à la pratique démocratique du recours à des élections et à des plébiscites. Beaucoup plus près de nus en 1956, un papetier de Saint-Céré dans le Lot, nommé Pierre Poujade lance un appel à la grève de l’impôt, réaction contre un zèle jugé excessif des contrôleurs du fisc qui avaient tendance à plutôt cibler leurs contrôles sur les petits commerçants. La constitution d’un groupe parlementaire « poujadiste » sera l’issue politique de ce mouvement qui va grandement contribuer à miner les institutions de la IVe République qui n’avait pas besoin de ça.

 

      

Affiche poujadiste                                                    Recettes fiscales du tabac 2012

 

4- La révolte des bonnets rouges    

Violente révolte antifiscale à l’époque de Louis XIV –tout n’était pas rose sous la férule du roi-*soleil- elle débute le 18 avril 1675 en Bretagne (déjà) à Rennes quand une foule en colère détruit les bureaux du fisc, défilant dans les rues de la ville au cri de : «Vive le Roi… sans gabelle et sans édits.» Elle va s’étendre très rapidement à une grande partie de la Bretagne, surtout la Basse Bretagne constituée du pays bigouden et la région de Quimper. C’est ce mouvement qu’on a appelé la révolte des Bonnets rouges ou encore la révolte du papier timbré en référence à l'impôt incriminé.

              Exemplaire de papier avec timbre fiscal de Bretagne

Clocher arasé de  l'église de Languivoa           Papier avec timbre fiscal de Bretagne

 

En 1672, Louis XIV se lance dans la guerre de Hollande, (curieux clin d’œil de l’histoire) guerre étant très souvent synonyme de nouvelles taxes. Les actes judiciaires et notariaux seront désormais rédigés obligatoirement sur papier timbré aux fleurs de lys, mesure assortie du paiement d’une taxe par feuille rédigée. Cette décision est accompagnée d’autres mesures comme la taxe sur chaque livre de tabac ou le marquage des pièces d'étain, pour augmenter encore un peu plus la grogne populaire. Devant le tollé suscité par ces mesures fiscales, les parlements régionaux temporisent, celui de Bordeaux, le plus touché au départ, suspend même l’application des nouvelles taxes.

L'« émotion populaire » comme la nomme le gouverneur de la ville de Nantes qui manifeste ses préoccupations auprès du secrétaire d'État à la guerre Louvois, grandit de jour en jour. La Bretagne est en effervescence, Nantes, Rennes et Saint-Malo en particulier sont touchées par le mouvement.

La campagne bretonne est touchée à son tour, les pays de Carhaix et de Rohan surtout, où les paysans conduits par un notaire de Kergloff près de Carhaix Sébastien Le Balp, visent les seigneurs, brûlent châteaux et manoirs et sèment la terreur dans la campagne. Mais en septembre 1675, le meneur Le Balp est tué par le marquis de Montgaillard, à Thymeur près de Carhaix. Sans chef, la révolte est désemparée et dès lors vouée à disparaître. Le duc de Chaulnes se fait le champion d’une féroce répression, aidé par des renforts envoyés par le ministre Louvois.  

 

Les forces royales s’en prennent aux révoltés, procèdent à de nombreuses pendaisons sans autre forme de procès, mais aussi aux biens, aux monuments, aux clochers d’églises qui ont soutenues la révolte et qui  sont arasés comme celui de Languivoa sur la commune de Plonéour-Lanvern et sont encore dans cet état aujourd’hui, à Rennes où une partie du quartier de la rue Haute est rasée et le Parlement, coupable d’avoir soutenu les rebelles, exilé à Vannes. On ne peut s’empêcher de penser que la sympathie des habitants de la région de Carhaix pour la Révolution -dans une Bretagne à forte implantation catholique et royaliste- n’est pas étrangère à la révolte des bonnets rouges et à la répression qui s’est ensuite abattue sur la région et a fortement impacté les mentalités.

 

Bonnets rouges 2.jpg        
Couverture de la BD et du livre de Borderie & Boris Porchnev

 

5- De la Ferme générale aux accords d’état

En 2013, les portiques d'écotaxe rappellent les barrières d'octroi de l’ancien régime qui entravaient la liberté de circulation des biens et des marchandises. Le recours à une société privée pour sa gestion rappelle désagréablement le fonctionnement de la Ferme générale. Par ce moyen et comme au XVIIe siècle, l'État a choisi de déléguer à des financiers la gestion d’importants investissements publics. La méthode n’est pas nouvelle puisque dès le début des années 2000 pour prendre un exemple récent, l'État avait déjà confié, par l’intermédiaire d’un système de concession à des sociétés privées, la gestion des péages d'autoroutes et de parkings ou celle d'infrastructures publiques comme les hôpitaux et les prisons. Le problème est que les principes du libéralisme, si souvent mis en avant, sont bafoués, les rentes publiques étant moins risquées pour le capital. Pour cette raison, les détenteurs du capital préfèrent de plus en plus développer des accords de partenariat avec l’état.

 

Avec la crise actuelle et l'instauration de la monnaie unique qui prive les pouvoirs publics des mécanismes de régulation monétaire, l'État est contraint de s'endetter pour maintenir un minimum de paix sociale, en recourant par exemple à différents types d’emplois aidés, les capitalistes utilisant alors plus volontiers les avantages de la rente publique qui génère un coût supplémentaire pour les citoyens soumis à des impôts de plus en plus lourds.

 

Dans ces conditions, on peut se demander si certains concepts, certains mécanismes comme la monnaie unique ne sont pas à terme menacés et si les responsables politiques ont pris toute la mesure de conséquences de la mondialisation. La "crise" se prolonge et s'accentue au point de mettre en difficulté des pans entiers de l'économie qui subissent un déclin drastique comme l'industrie et de l'agro-alimentaire français mis à mal par la puissance de pays émergents, le recours à de la main-d'œuvre immigrée, populations très pauvres et sans formation venues de pays sous-développés qui posent des problèmes d'intégration. Parallèlement, on constate une émigration d’une partie des « forces vives de la nation » fortement diplômées, attirées dans d'autres pays riches par de meilleures conditions de vie et de revenus.

Scénario pessimiste s’il en est, qu’il faut toutefois ne pas écarter comme irréaliste si les tendances actuelles perdurent avant que les responsables politiques ne prennent la mesure de la situation. L'histoire de France est pleine de scénarios pour qui veut en tirer des enseignements profiteurs.

 

Manifestations contre l'écotaxe

 

6- Comment l'extrême-droite profite du bonnet rouge

Ce titre du journal Libération [2] fait écho au logo du bonnet rouge, assorti du slogan « Non à l'injustice fiscale, » affiché par Marine Le Pen sur son compte Twitter, aux photos de Jean-Marie Le Pen coiffé d’un bonnet rouge ou du journal d’extrême droite Minute affichant : « Un abonnement acheté, un bonnet rouge 100% fait en France offert. » Le maire de Carhaix Christian Troadec a beau préciser que « l’extrême-droite n’a pas sa place parmi les bonnets rouges », trop tard, le mal est fait et le ministre de l’intérieur Manuel Vals a beau jeu de s’élever contre ceux qui ont « voulu utiliser le mouvement breton. Il y avait des bonnets rouges mais pas de Bretons, il n’y avait pas de salariés qui se battent pour l’avenir de leur entreprise, non il y avait des militants qui voulaient s’en prendre aux valeurs de la République », faisant référence aux manifestants qui s’étaient réunis à l’appel du « Printemps français » contre le mariage homosexuel, et « de groupes d’extrême droite, dont le Renouveau français. »  

 

           Bonnets rouges soutenez.jpg bonnets-rouges

Le Pen, bonnet rouge et drapeau tricolore   Ironique : Soutenez les bonnets rouges bretons !

 

Ceci traduit la capacité croissante des mouvements de droite à stimuler et récupérer ces contestations. Quand émerge une peur, une colère sociale, la droite essaie de lui donner un sens et d’en tirer un bénéfice politique. Depuis la « Manif pour tous, » elle a perfectionné ses méthodes d’intervention et sait désormais comment canaliser une population qui exprime une demande de sécurité, d’autorité ou d’identité, comment flatter des groupes, même si leurs intérêts matériels sont différents.

Laisser perdurer ce genre de situation signifie que la politique pourrait se faire dans la rue et non autour d’une table de négociation, lieu de recherche de consensus pour une meilleure cohésion sociale.

 

Annexe - Madame de Sévigné et les bonnets rouges

Le 3 juillet 1675, Madame de Sévigné écrit à sa fille avec sa morgue d'aristocrate : « On dit qu'il y a cinq cents ou six cents bonnets bleus (!) en Basse-Bretagne qui auraient bien besoin d'être pendus pour leur apprendre à parler ».

Quand plus tard le 24 septembre 1675, madame la Marquise se rend en son château de Vitré, lui vient un faux air de compassion tardive qu'elle transcrit 'in petto' dans une nouvelle lettre à sa fille : « Nos pauvres bas-Bretons, à ce que je viens d’apprendre, s’attroupent quarante, cinquante, par les champs, et dès qu’ils voient les soldats, ils se jettent à genoux et disent mea-culpa. C’est le seul mot de français qu’ils sachent…»

Sa façon d'écrire l'histoire sans doute... mais qui en dit long sur la mentalité de l'aristocratie de cour à cette époque et sur la coupure entre le pouvoir et le peuple.

 

Notes et référence

[1] D’autres révoltes auront aussi lieu en Europe à la même époque, dont on peut retenir :

– En Angleterre, les paysans se révoltent en 1381 sous l'égide de Wat Tyler et menacent la monarchie.
– En Flandre, sous la conduite de Philip Van Artevelde, les tisserands de Gand se soulèvent en 1382 contre le comte de Flandre et ses soutiens français.
– En Hongrie, sous le règne du roi Sigismond, les paysans se révoltent contre les grands féodaux. Battus, ils retournent au servage... et se vengent en refusant leur concours aux seigneurs lorsque la Hongrie est envahie par les Turcs.

[2] Voir aussi l'article du journal Le Monde : "Comment la 'droitosphère' a récupéré le mouvement breton"

 

Bibliographie

* Joël Cornette, Histoire de la Bretagne et des Bretons, 2 tomes, Le Seuil, 2005 et "Les bonnets rouges en 1675"

* François Hincker, Les Français devant l'impôt sous l'ancien régime, Flammarion, 1971

* Les soulèvements populaires en France au XVIIè siècle, Boris Porchnev, Flammarion, 417 pages, 1978

 

          <<<<< Christian Broussas, Feyzin, novembre 2013 © • cjb • © >>>>>



15/11/2013
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