Philippe Claudel Le rapport de Brodeck
Philippe Claudel, né en 1962, est notamment l’auteur des Ames grises, la petite fille de monsieur Linh et Le rapport de Brodeck, prix Goncourt des lycéens en 2007.
Référence : Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck, éditions Stock, 2007, 978-2-298-00978-1
« Je ne suis rien, je le sais, mais je compose mon rien avec un petit morceau de tout. » Le Rhin, Victor Hugo
Dans le village, on l’avait surnommé "De Anderer", "L’Autre", venu un jour de nulle part, sur ce chemin délaissé qui rappelait la guerre et de bien mauvais souvenirs. L’événement auquel Brodeck a été mêlé à son corps défendant s’est déroulé en fait en deux épisodes. D’abord par le meurtre des deux animaux de "L’Autre", son âne et son cheval, jetés dans la rivière Staubi, puis à l’auberge Schloss, ce jour qu’on appelle pudiquement, à mots couverts "L’Ereigniës", "la chose qui s’est passée." Ce soir-là, tout le village est impliqué, "ils" ont tous commis le pire, liquidé "L’Autre" pour d’obscures raisons qu'ils connaissent bien, enfouies au plus profond de la mémoire collective du village, avec le pauvre Brodeck pour témoin, « seul innocent parmi les autres. »
Pour Orschwir le maire, berger gardien de son troupeau d’électeurs, la mémoire est un des dangers les plus nocifs, aux terrible conséquences, lumière du passé qui occulte l’avenir et le rapport de Brodeck sera sacrifié au collectif, partira en cendres dans son grand poêle. En fait, et Brodeck s’en doutait, il était destiné à prendre acte, rapport administratif qui devrait d’abord transcrire la vérité pour préserver la bonne conscience des habitants du village, oublier, être une fin en sou et non à être diffuser pour laisser une trace.
Brodeck qui a définitivement perdu toute illusion, a ressorti la vieille, charrette, y a installé la vieille Fédorine, cette femme qui l’avait recueilli il y a si longtemps, sa chère Emélia qui avait toujours su qu’il reviendrait de l’enfer des camps et la petite Poupchette. Rien de plus. Les villageois vont enfin être entre eux, sans étranger pour les inquiéter, ils les ont tous "éliminés", et pour leur rappeler leurs turpitudes. Désormais, plus de bouc-émissaire non plus pour évacuer l’agressivité des dissensions.
Il y a comme une "réalité perceptive" qui s’exerce entre les individus, qui est comme l’objectif ultime que l’auteur donne aux rêves : « Je ne crois pas que les rêves annoncent quoi que ce soit… ils nous disent, dans le creux de la nuit, ce que nous n’osons peut-être pas nous avouer en plein jour. » (page 238)
Rien n'est clairement dévoilé mais, grâce à Brodeck qui, en parallèle du rapport officiel dont l'objectif caché est d'absoudre la population de sa responsabilité, tient aussi un autre rapport confidentiel celui-là, intime, qui mêle le fil de l'histoire à la trame de sa vie, qui transgresse la loi du silence imposée par le pouvoir villageois.
Citations
* « Tu sais écrire les mots, et comment ils peuvent dire les choses... »
* « Les hommes sont bizarres. Ils commettent le pire sans trop se poser de questions, mais ensuite, ils ne peuvent plus vivre avec le souvenir de ce qu'ils ont fait. Il faut qu'ils s'en débarrassent. » (le prêtre)
« ... la foule elle-même est un monstre. Elle s'enfante, corps énorme composé de milliers d'autres corps conscients. Et je sais aussi qu'il n'y a pas de foules heureuses. Il n'y a pas de foules paisibles. »
* « J'avais vieilli de plusieurs siècles dans le camp.... Les mêmes silhouettes et les mêmes visages osseux occupaient toujours le camp. Nous n'étions plus nous-mêmes. Nous ne nous appartenions plus. Nous n'étions plus des hommes. Nous n'étions qu'une espèce. »
* « Les hommes vivent un peu comme les aveugles, et généralement, ça leur suffit. Je dirais même que c'est ce qu'ils recherchent, éviter les maux de tête et les vertiges... »
* « Raconter ne sert (peut-être) qu’à entretenir les plaies, comme on entretient les braises d’un feu afin qu’à notre guise, quand nous le souhaiterons, il puisse repartir de plus belle. »
Commentaires critiques
* « Exempte du moindre pathos, son écriture est d’une virtuosité et d’une beauté stupéfiantes. Son propos humaniste n’en est que plus fort. Inoubliable. » Delphine Peras, L’Express
* « D’une écriture simple et limpide, formidablement construit, Le rapport de Brodeck est un livre magnifique –un roman, une fable, peu importe au fond- sur la question de l’altérité. » Patrick Nouchi, Le Monde
* « Philippe Claudel revient avec un livre envoûtant qui hante, poursuit et imprègne le lecteur. » Jean-Claude Raspiengeas, La Croix
<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - 20 septembre 2013 - © • cjb • © >>>>>>>>
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