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Albert Camus et l’Espagne

 « C'est en Espagne que ma génération a appris que l'on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l'âme et que, parfois, le cour age n'obtient pas de récompense. C'est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d'hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. »

Albert Camus

 

Dès l’enfance Albert Camus entretient un rapport particulier avec l’Espagne. Sa grand-mère et sa mère sont d’origine majorquine, il ira d'ailleurs faire un voyage aux Baléares- et ses premières années baignent aussi dans cet univers.  Plus tard, il sera attiré par la littérature espagnole, en particulier Cervantes, Tirso de Molina et Lope de Vega. L'Espagne sera toujours présente dans son esprit, que ce soit dans sa première pièce écrite collectivement mais où on reconnaît bien son empreinte Révolte dans les Asturies [1] en 1934, qui  fait référence aux événements de la deuxième République et ensuite L’État de siège [2] dans une Espagne marquée par la révolte et l'absurde. Il sera aussi toujours aux côtés de mouvements anarchistes qu’il soutiendra tout au long de sa vie.

 Albert Camus et l'EspagneRencontres méditerranéennes

Les XXIes Rencontres méditerranéennes Albert Camus qui se sont tenues en 2004 [3] ont abordé la question de "l'hispanité camusienne", des origines plus levantines que castillanes semble-t-il, et les influences de cet état de fait non seulement dans son œuvre mais aussi dans les notes de ses Carnets et dans ses adaptations de La Dévotion à la Croix, de Calderon de la Barca ou Le Chevalier d'Olmedo de Lope de Vega. Ses nombreux articles aussi témoignent de son engagement, de ses prises de position en faveur de l'Espagne, déjà dans Alger républicain en 1938 puis dans des journaux et revues comme Combat, Preuves ou Témoins et concrétisent sa détermination de militer en faveur de la liberté de penser, de défendre ses convictions et la dignité de l'être humain.

 

Ils illustrent son soutien indéfectible à ceux qui souffrent, dans leur chair et dans leur pensée : " Ce que je dois à l'Espagne... symboles cette amitié dans l'Espagne de l'exil. [...] Amis espagnols, nous sommes en partie du même sang et j'ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s'éteindra pas. " (Ce que je dois à l'Espagne, 1958) Ainsi, il est présent parmi ceux qu'il considère comme des frères, restant toujours fidèle « à la beauté comme aux humiliés. »

 

Albert Camus ou l’Espagne exaltée

Le 22 janvier 1958, tout juste de retour de Stockholm ou il vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Albert Camus part rejoindre les républicains espagnols en leur disant : "Je ne vous abandonnerai jamais et je resterai fidèle à votre cause !"

D'origine espagnole par sa famille maternelle, il aima avec "désespoir" cette mère fragile et ce foyer espagnol qu'était Bab-el-Oued qui lui rappelaient l'Espagne. Il reçut comme un coup au cœur la guerre civile et la victoire du franquisme. Il y voyait des "ennemis de la liberté" et lutta constamment contre ce régime totalitaire et ceux qui comptaient composer avec lui, dénonçant l'irresponsabilité des Alliés lors du conflit mondial dans un pays où disait-il, "l'honneur avait encore tout son sens", rompant tout lien avec l'Unesco quand l'Espagne fut admise à l'ONU. [4]

 

« Tout comme il fut un Espagnol discret, il se montra un communiste discret » écrit Javier Figuero [5] Ses liens furent  encore resserrés lors de sa longue liaison avec l'actrice espagnole Maria Casarès et il ressentait cette séparation avec ce pays où il refusait de se rendre, comme une forme "d'exil". Son engagement aux côtés des Républicains espagnols eut des répercussions sur son œuvre dont la plus importante fut sa pièce de théâtre "espagnole" -puisqu'elle se déroule à Cadix- L'État de siège".

 

   

Camus et son engagement libertaire

Pour Albert Camus, la souffrance des peuples tombés sous le joug totalitaire était une préoccupation essentielle, aussi bien en Espagne que dans l'Europe communiste de l'Est où ses écrits furent toujours reçus avec chaleur. Pas de calculs, d'opportunisme dans son engagement, il dénonce tous les abus qu'ils viennent des staliniens en Europe de l'Est ou de l'excès des politiques libérales des pays capitalistes. 

Ses éditoriaux en témoignent qui combattent parfois où la liberté est menacée, quand il écrit : « Je n'excuserai pas cette peste hideuse à l'Ouest de l'Europe parce qu'elle exerce ses ravages à l'Est, sur de plus grandes étendues  ». Pas étonnant dès lors qu'il fut autant attaqué. Sur l'Espagne, il n'a jamais varié d'un iota, fustigeant la régression du franquisme, [6] dénonçant tous ceux qui pactisaient avec ce régime totalitaire, étant constamment aux côtés des espagnols exilés, répondant à leurs sollicitations quand il fallait aider ou prendre la parole. [7]

 

Avec Fernando Gomez Pelaez, [8] il fait campagne dans les colonnes de Solidaridad Obrera pour la libération des espagnols antifascistes séquestrés à Karaganda. Il fut intransigeant face à un d'Astier de la Vigerie qui sous prétexte des horreurs du phalangisme, voulait excuser ce qui se passait à Moscou. De même, il mit les choses au point avec le philosophe Gabriel Marcel mécontent de sa pièce L'État de siège, qui justifiait le régime de Franco sous prétexte que le stalinisme était pis encore. [9]

Dans ce domaine, pas de compromis et les laxistes ne trouvaient pas grâce à ses yeux. On le trouvait toujours présent dans ses écrits autant que sur le terrain lors des campagnes d'aide -celle de la grève générale de Barcelone par exemple-, pour participer à l'action comme dans le cas des militants anarchistes condamnés à mort-, pour la protestation -dans es discours devant les exilés espagnols ou pour dénoncer l'entrée de l'Espagne à l'Unesco. N'a-t-il pas écrit que « le monde où je vis me répugne, mais je me sens solidaire des hommes qui y souffrent  ».


Notes et références

[1] Voir ma fiche Révolte dans les Asturies

[2] L'État de siège, l’intégral de la pièce

[3] Les rencontres méditerranéennes, octobre 2004, Lourmarin, Collection Les écriture du sud, éditions : Edisud, parution 09/01/2005, auteurs : Collectif Christiane Chaulet, Achour Rosa de Diego, Franck Planeille et Frédéric-Jacques Temple

[4] Camus 1952, La lettre à l’UNESCO

[5] Javier Figuero, "Albert Camus ou l'Espagne exaltée", éditions Autres temps

[6] Voir l'article L’Espagne et le donquichottisme, Camus, octobre 1957

[7] Voir Albert Camus, article de Combat 1944, Nos frères d’Espagne

[8] Voir Fernando Gomez Pelaez, Le Monde Libertaire n° 57, février 1960

[9] Voir Pourquoi l’Espagne ?, article de Combat 1948, Réponse à Gabriel Marcel

 

Voir aussi

* L’engagement de Camus : note sur l’Espagne

* Albert Camus : l’exigence morale pages 111 et suivantes

* Discours prononcé devant des réfugiés espagnols ayant fui le Franquisme, 1958, extrait

 * Camus l’artiste, colloque de Cerisay 2013

* Actuelles II : "L'Espagne et la culture", discours salle Wagram le 30 novembre 1952

<<< Christian Broussas - Camus et l'Espagne - 12/2013 <<< © cjb © • >>>



27/12/2013
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