Bernard Clavel
Bernard Clavel La peur et la honte
J’avais six ans à Hiroshima. 6 août 1945, 8h15
Témoignage de Keiji Nakazawa sur le drame d’Hiroshima, précédé d’un texte de Bernard Clavel, éditions Le Cherche midi, collection Documents, isbn 2-862-74366-6, 140 pages, 1995
Bernard Clavel, "La peur et la honte", pages 7 à 28
« C’est le germe de la guerre qu’il faudrait extraire du cœur des hommes. » Bernard Clavel
Bernard Clavel a tenu à apporter par ce texte sa propre approche, sa propre expérience au récit-témoignage de Keiji Nakazawa, rescapé d’Hiroshima, sur les jours qui ont précédé le largage de la bombe atomique sur Hiroshima et la vie de sa famille dans les mois qui lui ont succédé, en hommage à tous ceux qui ont comme lui combattu pour la paix et en l’occurrence à l’association L’Institut Hiroshima Nagasaki.
La honte est celle qu'il a ressentie un jour de 1944 dans le Jura quand il était rentré dans la Résistance et qu'il assista "au passage à tabac" d'un homme convaincu de trahison, d'avoir "donné" des Résistants aux Allemands. Ce souvenir personnel [1] et L'attaque de Lons-le-Saunier par la Résistance en juin 1944 ont beaucoup marqué Bernard Clavel qui écrivit à ce propos : « À Lons avant de partir, les Allemands avaient incendié tout un quartier. Ils avaient fusillé beaucoup de monde. » [2]
La peur est celle de tous ceux qui sont confrontés à la violence, à la torture, à ces hommes qui tremblaient dans leur tranchée à l'approche de l'assaut, à ces terribles bombardements qui précédaient l'attaque et que Bernard Clavel a vécu à travers le livre de son ami Gabriel Chevallier intitulé justement La Peur qu'il considérait son meilleur ouvrage et l'un des grands témoignages sur cette époque.
« Depuis un demi-siècle, je tremble, écrivait Bernard Clavel en 1995 dans ce texte. Pour ma peau, pour celle de tous les êtres que j’aime. Pour l’humanité en général… » Il ne reste alors qu’une solution : "faire la guerre à la guerre". Seule la peur d’un anéantissement total peut être assez forte pour décider l’homme à se révolter contre cette perspective et exiger un désarmement total et immédiat.
Il a longtemps espérer une prise de conscience, l’étincelle qui forcera le destin pour mener sur le chemin de la fraternité mais peu à peu même les femmes ont rejoint la cohorte des hommes dans meurs folies. [3] Avec des moyens aussi sophistiqués que l’arme atomique, "la der des ders" comme on disait dans les années vingt, sera bien la prochaine fois vraiment la dernière, signant la fin de l’humanité.
Les bons esprits qui espèrent "humaniser la guerre" et définissent des "crimes de guerre" s’illusionnent gravement sur sa nature et veulent ignorer que la guerre a toujours vocation à devenir totale, absolue. L’équilibre de la terreur, défendue par bon nombre de politique, [4] est en réalité une épée de Damoclès, la Camarde qui se dessine dans les volutes d’un champignon atomique.
Si certains acteurs éprouvent des remords comme le physicien Albert Einstein ou Claude Eatherly, l’un des aviateurs d’Hiroshima qui fut interné, [5] d’autres comme le général Tibbets, autre pilote d’Hiroshima, n’ont connu aucun problème de conscience. [6] En matière de guerre, il n’y a guère que des victimes et Claude Eatherly a tenté « de maintenir vivante la conscience, au siècle de la machine. » [7] Ce n’est pas seulement la bombe atomique qu’il faut interdire mais tout ce qui menace l’humanité de destruction. Parfois, quand Bernard Clavel croise un enfant dont il s’imagine qu’il pourrait être dévoré par le feu nucléaire, il pense : « J’ai peur pour lui. J’ai honte pour l’humanité. »
Notes et références
[1] Voir le cycle La Grande Patience, en particulier le troisième tome intitulé Le cœur des vivants et L'Espagnol où il aborde aussi le thème de la torture
[2] Voir son livre de souvenirs Écrit sur la neige et sur la libération de Lons-le-Saunier, voir son dernier roman intitulé Les Grands Malheurs
[3] Il se réfère à cette citation de Romain Rolland, l’un de ses auteurs préférés : « Ces braves gens qui font l’éternité des fléaux criminels… »
[4] Voir la lettre du 21 avril 1987 adressée par Michel Rocard à Bernard Clavel (page 19)
[3] Voir son témoignage dans le livre "Avoir détruit Hiroshima", éditions Robert Rappone, 1962
[5] Voir la version romancée du récit "Pluie noire"de Keiji Nakazawa par Masuji Ibuse parue chez Gallimard et la version cinématographique par Shôhei Imamura en 1989, lente destruction d’une famille par le mal nucléaire après Hiroshima
[7] Voir lettre du philosophe Günther Anders au président Kennedy en 1961
Bibliographie
* Père Lelong, "Célébration de l’art militaire"
* IHN (Institut Hiroshima Nagasaki), "Hibakusha" (les irradiés)
* Claude Eatherly, Günther Anders, "Avoir détruit Hiroshima", éditions Robert Laffont
* Keiji Nakazawa, "Sous la pluie noire", manga, éditions Manga Pantch, 1967
* Robert Sabatier, "Les années secrètes de la vie d’un homme", éditions Albin Michel
* Kenzaburo Oe, "Cahiers d’Hiroshima", prix Nobel de littérature 1994
* Jean Toulot, "La bombe ou la vie", éditions Fayard
* Keiji Nakazawa, "Guen aux pieds nus", manga en 4 tomes sur sa propre histoire d’irradié d’Hiroshima, éditions Manga Pantch, 1975
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Clavel, Contes, nouvelles et légendes
L'arbre qui chante est un recueil de contes et de nouvelles regroupant les plus importants écrits par l'écrivain Bernard Clavel et édités dans le cadre de la parution de ses œuvres complètes aux éditions Omnibus.
Présentation générale
C'est en 1967 que Bernard Clavel se décide à écrire son premier conte pour la jeunesse 'L'arbre qui chante' à partir d'éléments biographiques et qui servira de titre à ce volume de recueil de ses œuvres complètes.
Dans son livre autobiographique Bernard Clavel, qui êtes-vous ? écrit avec la journaliste Adeline Rivard, Bernard Clavel précise sa conception de ce genre d'ouvrage. « Le conte de fée a probablement cessé d'être ce qui intéresse le plus les petits. » S'il rejette toute forme de violence, ce qui est logique pour cet apôtre de la non-violence, il aime représenter un univers le plus proche possible de la réalité et « sans bêtifier, » promouvoir un monde où les nobles sentiments soient valorisés. S'il a longtemps hésité à s'engager dans cette voie, c'est qu'il lui semblait s'être trop éloigné de l'enfance et se contraindre à adapter son langage et son style pour la jeunesse.
Il s'est aperçu en lisant ou relisant des œuvres telles que Le petit chose, Jacquou le croquant ou les livres de Jack London, « ceux qui ont enchanté notre adolescence, qu'il n'existe pas de littérature pour adolescents. » Personne ajoute-t-il, n'est d'ailleurs en mesure de définir une forme d'expression particulière à ce genre de public. Mais pour les jeunes encore plus que pour les adultes, il faut respecter cette règle d'or : la clarté de l'expression est la forme essentielle du respect du lecteur. Il faut aussi que l'auteur « retrouve un moment sa propre enfance, ses propres sources d'émerveillement, accomplir... le voyage au jardin où se sont endormis nos premiers rêves. » Son secret, s'il existe, est pour lui de se raconter des histoires. Il avoue avoir une prédilection pour les animaux et beaucoup de ses contes en portent le nom : Jérôme le roi des poissons, Isidore le mouton noir, Victor le hibou qui avait avalé la lune ou Sidonie l'oie qui avait perdu le nord...
Dans sa prime jeunesse, il a été marqué par les histoires que lui contait sa mère, excellente conteuse qui enchantait ses soirées, et par celles de Benjamin Rabier et ses Contes du lapin vert qui l'ont longtemps suivi Il pense que ce qui l'aide à écrire ses livres pour la jeunesse, c'est qu'il est parvenu à garder encore quelque part en lui un peu de son âme d'enfant.
Les premiers contes
- L'arbre qui chante (1967) : Vincendon, le vieux luthier ami de son père, artisan hors pair et amoureux du bois, va parvenir à 'faire chanter' un vieil érable qui semble mort. Les enfants Isabelle et Gérard aimeraient bien être initiés au secret de Vincendon qui leur dit mystérieusement qu'il « chantera encore mieux que lorsqu'il avait des oiseaux plein les bras. ». " Vous verrez, a promis Vincendon aux enfants, il chantera encore mieux que lorsqu'il avait des oiseaux plein les bras. Pour les enfants, le mystère s'épaissit. (avec des illustrations de Jean-Claude Luton)
'L'arbre qui chante' : réédité le 22 août 2002 chez Pocket dans la collection Kid Pocket, 58 pages, (ISBN 2-26-611502-2)
- ( L'arbre qui chante a été réédité en album avec deux autres contes de cette époque : La maison du
- canard bleu et Le chien des Laurentides avec des illustrations de Christian Heinrich avec comme fil
- conducteur cette idée de l'osmose nécessaire entre l'homme et la nature.)
- La maison du canard bleu (1972) : Simon, un vieil homme barbu vit dans des marécages, parle avec les animaux, aide les oiseaux blessés et se moque des chasseurs. Il va initier deux enfants au respect de la nature. (avec des illustrations de Jean-Baptiste Fourt)
- Le voyage de la boule de neige (1975) : voyage merveilleux alliant réalité et imaginaire. (avec des illustrations de Jean Garonnaire)
- Le chien des Laurentides (1979) : l'histoire de la petite Céline avec un chien-loup. Ce pauvre chien vagabond trempé par l'orage rencontre Céline qui parle sa langue ! Quelle aventure d'amitié et de liberté ! (avec des illustrations de Léonor Dodon)
- Félicien le fantôme (1980) : Félicien, au moins centenaire, est en fait un passe-muraille qui va rencontrer un jeune garçon auquel il va offrir savoir et sagesse. (écrit en collaboration avec sa femme Josette Pratte et illustré par Jean Garonnaire)
- Odile et le vent du large (1981) : histoire d'une petite fille désobéissante et de sa rencontre avec le vent et un gros caillou. (avec des illustrations de Jacqueline Delaunay)
- Le hibou qui avait avalé la lune (1981) : première lecture pour les plus petits. (avec des illustrations de Jacques Aslanian)
- Poèmes et comptines pour apprendre les mots (1981) : ouvrage didactique pour permettre la découverte des mots aux petits enfants sur des thèmes variés comme la maison, le jardin... (avec des illustrations de Lise Le Cœur)
- Rouge pomme (1982) : c'est un recueil de poèmes pour les plus petits
- Le mouton noir et le loup blanc (1984) : Sur le chemin de l'abattoir, Isidore le mouton noir, réussit à s'échapper, part se réfugier dans les montagnes et noue une amitié avec Gustave le loup blanc. Par la magie de Clavel, la haine séculaire entre loup et mouton va devenir une grande amitié. (avec des illustrations de Anne Romby)
- Le roi des poissons (1984) - Illustré par Christophe Durual, collection Contes d'hier et d'aujourd'hui
Jérôme le poisson rouge, un jour d'orage, va faire un voyage fantastique de son bocal jusqu'à la mer en passant par la rivière. Il va braver tous les dangers mais l'amitié et l'amour le sauveront.
(réédité avec des illustrations de François Crozat)
Les Albums-contes
- Histoires De Noël - éditions Albin Michel
Cette série est constituée de dix contes basés sur des idées généreuses, la justice, la solidarité, pour l'édification des plus de 9 ans. C'est toute la poésie des soirs de Noël, quand avec le père Noël le merveilleux entre dans la maison que tout devient possible.
Les 10 contes regroupés ici et publiés entre 1985 et 2001 sont les suivants : Faits divers (1985), Julien et Marinette (1982), Noël sur l’océan (1988), Hiéronimus (1993), Le 'quêteux' du Québec (1997), Les soldats de plomb (1998), Le Père Noël du nouveau millénaire (1999), Marionnette (2001), Le grand vieillard tout blanc (2001) et L’apprenti pâtissier (2001).
- Achille le singe : trois Histoires extraordinaires illustrées par Jean-Louis Besson.
L'autobus des écoliers : Achille le singe est nommé instituteur des animaux et des enfants du village… pour le bonheur de tout le monde.
Le rallye du désert : Achille et ses copains décident de participer au Paris-Dakar et c'est le début d'une grande aventure avec ses joies et ses difficultés.
La Maison en bois de lune : Achille décide d'écrire ses mémoires mais le plus difficile reste à faire : éditer et vendre son livre. Et pour ce faire, il débarque à paris avec ses copains…
- Le Commencement du monde - Illustré par Daniel Maja.
En l'absence des hommes, les animaux sont heureux et découvrent la terre, ils vivent leur âge d'or. Mais leur bonheur va être menacé quand le Soleil et la Lune s'unissent pour enfanter les hommes…
- Le Château de papier - éditions Albin Michel - Illustré par Yan Nascimbene.
Yves rêve de construire un vrai château fort, comme au Moyen Âge. Mais avec des livres, uniquement des tas de livres comme matière première, ce n'est guère envisageable… quoique avec Bernard Clavel et sa passion des mots et des livres, rien ne soit impossible…
- Histoires de la vie sauvage - éditions Albin Michel, 2002
Après avoir publié Histoires de Chiens et Histoires de Noël, Bernard Clavel traite cette fois-ci des histoires de la vie sauvage. On y rencontre le loup dans les forêts européennes, l'ourse blanche dans le Grand Nord et aussi le phoque sur la banquise. Mais l'homme, éternel prédateur de la vie sauvage, est toujours l'ennemi.
Cet ennemi a de plus en plus d'avantages avec ses pièges de toutes sortes et ses redoutables armes pour pourchasser la meute des loups. L'ourse blanche redoute le trappeur mais là, le combat est plus équilibré. Quant au phoque, il est aussi bien menacé par la marée noire que de finir quelque part en Europe dans un cirque. Seul le renard parviendra avec l'aide des enfants à déjouer le piège du braconnier. Heureusement, que les enfants comprennent le monde sauvage.
Cet album comprend 4 titres inédits et une reprise : - La Louve du Noirmont (2000) - Le Phoque orphelin (2002) - Le Collier du renard (2002) -Les Enfants de l’ourse (2002) - Le Harfang des neiges (2002)
[Voir aussi : La louve de Noirmont : Bernard Clavel (texte) et Jame's Prunier (illustrations), Pocket Junior, 17/02/2000, 92 pages, (ISBN 2-26-610033-5)] [1]
Notes et références
- Le mois de février pour la meute de loups, c'est la saison des amours. Dans la clairière, un superbe mâle nommé Berg lutte pour Fulga, l'une des plus belles louves. Vainqueur, Berg part avec Fulga chercher une tanière pour s'y lover et donner naissance à trois petits. Mais après l'été arrive l'automne avec la chasse ; alors commence la longue errance des loups…
Les légendes
Les Légendes sont des textes écrits par Bernard Clavel pour la jeunesse, ainsi que des albums et des récits dont plusieurs traitent de contes et surtout de légendes.
Bernard Clavel a toujours été attiré par ces histoires extraordinaires qui lui rappelaient celles qu'il se racontait étant petit, perché dans le chêne têtard du jardin de son père ou que sa mère, conteuse impénitente, racontait certains soirs à la mauvaise saison.
Il a aussi toujours été attiré par l'eau, sans doute parce que le Jura, sa région natale, est terre d'eau avec ses nombreux lacs et rivières. Il raconte sa fascinante découverte du Rhône1 dans son enfance alors qu'il était à Lyon en visite chez un cousin, un fleuve qui ne le quittera plus et auquel dans son œuvre, il rend de nombreux hommages2. C'est dire sa fascination le jour où il découvrit la mer, cette étendue inimaginable, ses langueurs et ses fureurs.
Il a ainsi fait de l'eau le sujet principal de ces légendes. D'abord, ce qu'il connaît le mieux, les lacs et les rivières, ces lacs entourés de forêts comme le lac de Bonlieu dont, dans un album, il a célébré la beauté, le lac Léman aussi qui lui est particulièrement cher3 les montagnes avec leurs torrents, et enfin ces vastes éléments que constituent mers et océans.
Légendes de la mer
Présentation
Sur tous les continents, de l'Espagne au Japon, de la Norvège au Viêt Nam, du Brésil à la Sibérie, mers et océans ont toujours fasciné les hommes, par leur étendue, leur mystère, un sentiment mélangé de répulsion, de peur face aux éléments qui se déchaînent et d'attirance pour ce monde marin et sous-marin peuplé de sirènes et d'espèces inconnues.
Pour conjurer les effets du mystère et de l'inconnu, les hommes ont bâti des légendes.
Dans ce pays de légendes, à la fois enchanté et redoutable, le roi Souran part à sa découverte dans son caisson de verre, un jeune requin passe son temps à jouer avec les enfants de Ta'aroa, les hommes épousent des nymphes et des naïades qui leur donnent de beaux enfants. Mais ces belles sirènes sont parfois très jalouses, la femme-phoque repart dans son élément, des fantômes naissent des villes englouties et le général-baleine commande une armée de poissons.
Contenu des "légendes"
- 1- Le 7e fils du pêcheur breton : Yvon le pêcheur est convoité par une belle sirène qui, en échange de sa libération, lui fait promettre de lui livrer son fils nouveau-né. mais Yvon oublie vite sa promesse et son fils Yan grandit loin de la mer. Mais Yan a un rival amoureux de sa promise, la belle Yolande qui se lie avec la sirène pour l'enlever. Elle ne sait pas qu'il possède une arme secrète, une formule magique que lui a révélée son ami l'épervier qu'il a jadis sauvé. Et Yan de cette façon regagnera sa liberté pour rejoindre sa belle.
- 2- Le trésor de l'île Ferdinandea : Gina a vraiment un caractère impossible et son brave mari Beppo, homme faible mais excédé par les débordements de son épouse, caresse l'idée de s'en débarrasser. Par un jour d'une terrible tempête qui s'annonce pour qui connaît la mer, il l'envoie sur son bateau à la pêche au trésor. Mais la mégère parviendra à s'en sortir et c'est le pauvre Beppo qui travaillera dur pour payer les dettes de sa femme, conséquence de sa cupidité.
- 3- La fille du génie des flots : Emhammed a réussi ce tour de force de dilapider en peu de temps la fortune patiemment amassée par son père. Ruiné et désespéré, il n'en sauve pas moins d'une mort certaine une jeune fille magique, la fille du génie des mers, qui charrie des rubis dans son sang. Ce père, fort de ses pouvoirs, voulut récompenser le sauveur de sa fille, lui offrit la richesse, le pouvoir ou la vie éternelle. Mais Emhammed ne voulait qu'épouser la belle Rubis. L'amour triompha, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Ce genre de légendes écrit l'auteur « sont toutes empreintes de la même sagesse : il vaut mieux protéger le faible car il peut dissimuler une créature toute puissante. »
- 4- Les sorcières de Peñiscola : Henriquez, pauvre pêcheur de ce petit port espagnol, surprit une fois un groupe de sorcières qui, pour acheter son silence, lui confièrent de quoi prendre autant de poissons qu'il voudrait : c'est ainsi qu'il vécut et passa pour détenir un mystérieux pouvoir, un secret magique4.
- 5- Les 3 cordes de bois : Esben le moussaillon est doté d'un pouvoir particulier : il comprend le langage des oiseaux. Ce don va lui permettre de déjouer un complot de sorcières et de sauver de terribles tempêtes le bateau sur lequel il a embarqué, et tout son équipage.
- 6-* Les phoques : Les phoques que les hommes exterminent, savent très bien se venger : ils les noient et les transforment en récifs. Olaf le sait bien, lui qui a épousé Helga une femme-phoque partie rejoindre les siens. Or un jour, il reconnaît sa voix qui accusait les hommes de s'être livrés une nouvelles fois au massacre de ses congénères.
- 7- Le voyage du roi Souran : Le roi s'ennuie dans son calme royaume. Une question le tracasse cependant : qu'y a-t-il au fond des mers : simplement de l'eau ou bien autre chose ? Il décide d'entreprendre un grand voyage pour savoir enfin. Aussi est-il peu surpris d'émerger dans les entrailles de la terre, d'être reçu en ami, d'épouser la fille du roi qui lui donna 3 beaux enfants. Mais il finit par s'ennuyer de son pays natal, y retourna et écrivit l'épopée de son histoire extraordinaire qui obtint un succès considérable. Quand son fils aîné fut en mesure de lui succéder, il retourna dans le peuple des entrailles de la terre, retrouva sa femme et écrivit l'histoire de son pays d'origine qui intriguait beaucoup ce peuple et connut là-bas aussi un succès considérable.
- 8- Le requin de Ta'aroa : Irê était un requin doux comme un dauphin qui adorait jouer avec les petits des hommes. Mais des jaloux firent courir le bruit qu'il avait dévoré un enfant et il devint un paria. Il advint même que deux frères le prirent pour cible avec leur lance et le blessèrent grièvement. Mais les dieux veillaient et eurent pitié du pauvre Irê qu'ils guérirent. Irê partit ailleurs, fonda une famille mais jamais ses enfants ne se résolurent à jouer avec les petits des hommes.
- 9- Le pêcheur sans âge : Une bonne action n'est jamais perdue. Urashima pauvre pêcheur sauve une jeune tortue des griffes de sales gamins et sa mère, pour le récompenser l'emmène sous la mer jusqu'au magnifique 'Palais de corail' où Urashima vit longtemps heureux. Trop longtemps sans doute, car le jour où il revient dans son village, il ne reconnaît plus rien. Tout a changé. Et quand le sortilège n'agit plus, il change et vieillit d'un seul coup. Plus personne ne sauve plus les petites tortues en détresse dans ce monde qu'il ne reconnaît plus. Alors il comprend que ce temps, 'son' temps est passé et qu'il lui faut préparer son départ.
- 10- Glaucus et Scylla : Glaucus ne sait comment faire partager son amour à la belle Scylla. Il s'adresse à la magicienne Circé qui peut tout, y compris rendre Scylla amoureuse de Glaucus mais elle est jalouse et, trahissant sa promesse envers Glaucus, transforme Scylla en monstre. Finalement, Circé fut la plus forte et ni l'un ni l'autre ne parvinrent à se venger de la magicienne5.
- 11- La reine de la Baltique : La belle Jurata régnait sur les océans depuis son palais sous-marin. Mais elle apprit qu'un jeune homme Kastytis avait inventé un nouveau filet pour décimer la gente aquatique. Elle voulut châtier l'intrépide mais en tomba amoureuse. Son père, le Roi des océans apprenant l'affront déclencha une terrible tempête qui détruisit tout sur son passage et engloutit les deux tourtereaux6.
- 12- Le secret des marées : 'Le Grand Mêlé', livre maléfique s'il en est, a le pouvoir de provoquer de grandes marées qui noient tout sur leur passage. C'est ce qui arriva au prieur de Lihon qui eut l'imprudence de confier l'ouvrage à son serviteur, non initié à ses terrible secrets7.
- 13- Le génie du mont Tan Vien : Étrange marché qu'on proposa à Min : épargner un bel arbre séculaire contre une baguette magique de guérisseur. Le jeune bûcheron voyagea alors en guérissant beaucoup de gens mais revint ensuite chez lu, dans ces forêts qu'il aimait. Sa réputation était telle qu'il finit par épouser la fille de son roi. Son concurrent, le fils du roi des mers du sud le combattit et fut finalement vaincu par le forêt8.
- 14- Le pêcheur de feuilles : Un bienfait n'est jamais perdu dit le dicton. Un chêne sauvé jadis par un enfant devenu un pauvre pêcheur jouant de malchance, lui rendit au centuple sa bonne action et lui permit dorénavant de vivre décemment de son métier.
- 15- Le beau mendiant et l'esprit des perles : Le challenge qu'un père mourant proposa à son fils Hans : lutter contre une belle sirène, une 'naufrageuse' des bateaux qui passent dans ses parages. Il parvint à lui dérober son livre des secrets et le confia à une jeune fille experte Frida, qui le mit en garde contre les maléfices qu'il contenait. Bien sûr, ils s'aimèrent mais la sirène se vengea et on les découvrit un jour près d'une plage, statufiés en rocher9.
- 16- Les gens du fond des mers : N'épousez jamais une fille du fond des mers' car un jour elle partira, elle vous quittera comme c'est arrivé à ce pauvre Miguel, avec les enfants, les meubles et même la maison.
- 17- Les cygnes de la mer : Dave a dû faire un beau rêve qui a mal fini : il a été enlevé et dorloté par trois femmes-cygnes qui lui ont fait une enfance merveilleuse mais quand il s'est réveillé dans son lit, la tempête faisait rage et ses trois protectrices étaient mortes.
- 18- La cité sous les eaux : Les Pays-Bas sont un pays de terre et d'eau. Mais en cette funeste année, les flots se déchaînèrent et envahirent de toutes parts la cité, si violemment qu'elle fut engloutie. Seuls, deux enfants, Jeppe et Griselda réussirent à grimper haut dans le clocher de l'église, en réchappèrent ainsi et furent sauvés par un bateau venu recueillir les éventuels survivants.
- 19- Le vieux la mer : Nazroun est un enfant précoce, différents des autres. Rien d'étonnant donc à ce qu'il serve de bouc-émissaire quand le poisson vint à manquer et disparut du fleuve. Il décidé alors de partir à la recherche de Taïnatz le Vieux des mers, responsable de la situation, détenteur du pouvoir de faire revenir les poissons et de mettre fin à la famine qui menaçait. Il finit par le retrouver, le délivra d'une bande d'épaulards qui le manipulaient. C'est ainsi que les poissons revinrent nombreux, repeuplèrent le fleuve et que Nazroun devint le maître bienveillant du pays.
Autres livres sur les légendes
- Légendes des montagnes et des forêts, illustrations Mette Ivers, commentaires Nicole Sinaud, Hachette Jeunesse, 1975, LGF en 1983 et Le Livre de Poche jeunesse, 08/2008, 184 pages, (ISBN 978-2-01-322601-1) et (ISBN 2-01-322601-2)
- Dans ces dix-neuf contes issus de nombreux pays, les montagnes sont souvent le siège de diables et de géants, de ces créatures mystérieuses, secrètes, souvent cachées dans leur repaire, comme le terrible 'Singe blanc' ou les 'trolls forgerons'. Les forêts aussi ne sont pas épargnées qui renferment de bons bûcherons et de jolies filles ensorcelées, des forêts où parfois les arbres parlent, où la bergère espère se marier avec le loup s'il peut la nuit venue se transformer en prince. Légendes éternelles qui n'épargnent aucun pays, du Laos à la Grèce ou à la Finlande, dans les montagnes et les forêts, opèrent toujours la magie de tours oniriques.
- Légendes des lacs et des rivières, illustrations Jacques Poirier, notes de Nicole Sinaud, Hachette Jeunesse, 1974 et 1986, réédition chez Hachette Jeunesse, 2002, (ISBN 2-01-000693-3) et Le Livre de Poche (ISBN 2-01-321979-2)
- Dans l'eau qui parfois dort et parfois court, se cachent beaucoup d'êtres qui peuvent nous paraître étranges. Monstres, poissons-fées et recettes magiques enchantent ces lieux féériques et mystérieux pour un merveilleux voyage autour du monde10.
- Légendes de la mer, Hachette Jeunesse, 1975, (ISBN 2010139224), LGF en 1981 et Le Livre de Poche jeunesse, 10/2008, illustrations Rosiers-Gaudriault, commentaires Nicole Sinaud, 189 pages, (ISBN 978-2-01-322499-4)
- Légendes du Léman, illustrations Mette Ivers, Éditions Hifach, en 1988, Hachette Livre, 1996, Hachette Jeunesse, 2004
- Contes espagnols, Le pont du Llobregat - le pêcheur et le sabbat - la perle de la forêt, illustrations de August Puig, Le Choucas, 77 pages, Voir aussi et Clavel-Puig, 1992
- Contes et légendes du bordelais, éditions Mollat, 06/06/1997, 90 pages, (ISBN 2-909351-31-9)
Notes et références
- Voir son livre Je te cherche vieux Rhône
- Voir en particulier Pirates du Rhône, Le Seigneur du fleuve, Brutus ou La Table du roi
- Voir La Lumière du lac, le deuxième tome de sa série romanesque Les Colonnes du ciel
- Cette histoire est tirée du récit d'un paysan espagnol qui l'avait confiée à Prosper Mérimée lors d'un de ses voyages dans cette contrée.
- Cette légende est tirée d'un conte d'Ovide. Dans la mythologie, naïades et néréides fuient souvent les dieux qui, par concupiscence quand ils n'arrivent pas à leurs fins, les transforment par exemple en laurier comme Apollon avec Daphné ou Aréthuse métamorphosée en fontaine par Alphée le dieu-fleuve.
- Dans la mythologie, ce genre d'histoire ne finit pas toujours aussi mal : témoin la nymphe Thétis qui épousa un mortel et devint la mère d'Achille.
- Les histoires comme celle-ci sont innombrables et ces livres ont la particularité d'être indestructibles, même par le feu
- Beaucoup de créatures terrifiantes, des serpents comme les Vouivres que connaissent bien des jurassiens comme Bernard Clavel, hantent contes et légendes
- Ce conte sur le pouvoir maléfique d'une sirène s'inspire de La chronique de l'écolier itinérant de Clemens Brentano
- Contient 16 histoires : La Vouivre, L'affreux homme du Hoyoux, La Lorelei, Les rats du lac de Constance, Le lac de Crève-Cœur, Le pont du diable, Les 3 rivières de larmes, Le roi des saumons, Le lac qui ne gèle jamais, La vieillesse du roi des caïmans, La mort d'un fleuve, La petite fille de l'étang, Les 3 torrents, Le lac de la Grande Épée, L'ogresse de la rivière et L'étang de feu.
Bibliographie
- 2003 Paroles de paix, texte de Bernard Clavel, illustrations de Michele Ferri, Éditions Albin Michel, 01/2003, 64 pages, (ISBN 2226129235)
- 2005 Le chien du brigadier, Sélection Du Reader's Digest, collection 50 Ans Sélection du Livre, 61 pages, 04/2005, (ISBN 2709816679)
- 2005 J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15, Nakazawa Keiji, précédé de La peur et la honte de Bernard Clavel, Éditions Le Cherche-Midi, 2005, 169 pages, (ISBN 2749104165)
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Bernard Clavel et Les droits de l'homme
L'écrivain Bernard Clavel a œuvré tout au long de sa vie pour défendre la paix et les droits de l'homme à travers le monde, lutter contre la guerre qui lui apparaît comme le principal fléau qui menace l'humanité. Son action s'est traduite par son engagement pour défendre avec ses amis et les associations auxquelles il a adhéré, les droits des personnes, en particulier ceux des enfants, lutter contre la famine et la guerre. Elle se retrouve aussi dans ses écrits, que ce soient des romans, des essais ou dans les nombreux articles qu'il a écrits.
Présentation générale
Très tôt, Bernard Clavel a été confronté à l'injustice et même à la violence pendant son apprentissage de pâtissier à Dole. Il sera marqué pour la vie par cette expérience traumatisante qu'il a relatée dans son roman La maison des autres, tome I de sa suite romanesque La Grande Patience. Il pense que « la lutte pour une meilleure justice s'inscrit au chapitre du combat pour un monde enfin préservé de la haine, pour un humanité plus humaine.Pour ce que Louis Lecoin appelait 'la patrie humaine'. »
1959 : Dans un passage de son roman L'Espagnol, il parle de La peur de Pablo confronté, alors qu'il se trouve dans un maquis de la Résistance en 1944, à la torture d'un homme, collaborateur sans doute, mais qui lui est insupportable. Cet épisode est éminemment autobiographique et Pablo n'est autre que le jeune Bernard Clavel face aux cris d'un homme qu'on torture et dont il ne peut supporter la souffrance, épisode qui a joué un rôle certain dans son évolution vers la non-violence. [1]
Août 1977 : Bernard Pivot interviewe Bernard Clavel au sujet de son dernier roman La lumière du lac tome II de la suite romanesque intitulée Les Colonnes du ciel, l'histoire de paysans jurassiens qui durant l'hiver 1639 fuient la guerre pour s'installer dans le Pays de Vaud à Morges quand débarque un médecin qui veut sauver tous les enfants. C'est un médecin Engagé dans la paix dit Bernard Pivot, le genre d'homme que Bernard Clavel rencontre à l'époque de son engagement et qui l'a fortement marqué dans le portrait de son personnage.
Le romantisme du soldat, qu'il a cultivé dans sa jeunesse à travers la figure de son oncle capitaine dans l'armée d'Afrique, [2] qui a nourri son imagination d'enfant, [3] est bien loin désormais.
Terre des hommes
Le Silence des armes
C'est en 1970 que Bernard Clavel décide de frapper un grand coup en publiant son roman Le silence des armes. Il y dénonce les ravages de la guerre à travers l'histoire d'un soldat perdu de la guerre d'Algérie qui a vécu les massacres de l'armée française et le recours à la torture, un soldat qui, lors d'une permission dans son village ne peut plus supporter de se taire et de participer à cette 'sale guerre'. Clavel dira qu'il n'y a pas de sale guerre ou de guerre juste, par définition la guerre et sale et injuste et il faut lutter contre son principe même, profiter d'un temps de paix pour agir et mettre toute guerre hors la loi.
Son roman provoquera de nombreuses polémiques, en particulier avec un soldat, le caporal Mc Seale auquel il répondra dans une lettre au ton de véritable essai sur les ravages de la guerre et l'argumentation des militaristes dans sa Lettre à un képi blanc. [4]
Le massacre des innocents
Deux rencontres vont jouer un rôle essentiel dans l'évolution de Bernard Clavel et son engagement dans la lutte contre la guerre, la famine et la reconnaissance des droits de l'enfant.
- D'abord sa découverte de la gravité de la situation dans de nombreuses régions du monde. Il racontera son parcours et ses réactions face à la terrible réalité à laquelle il est confronté dans un essai-témoignage intitulé Le massacre des innocents [5] où les innocents dont il parle sont surtout des enfants.
- Dans sa préface au livre de Claude Mossé Mourir pour Dacca, [6] il écrit que quand il entend le cri d'angoisse que lance Claude Mossé concernant les enfants du Bangladesh, il décide immédiatement de partir avec lui. Et ce qu'il voit est terrifiant : images insoutenables de ces tueries qui prouvent que « le monde s'habitue à l'horreur », une expérience qui restera pour lui « l'un des passages les plus douloureux de mon existence » ajoute-t-il avant de citer son ami l'écrivain Jean Guéhenno : « La guerre, c'est l'impuissance de l'homme. » [7]
Pacifisme et droits de l'homme
En 1967, quand Bernard Clavel apprend dans quelles conditions son ami l'acteur Jean-Claude Rolland a pu se suicider dans sa cellule où il était emprisonné pour un délit mineur, il s'écrie, indigné : « Il est mort assassiné par un juge d'instruction et par le système pénitentiaire. » D'autres événements vont aussi servir de révélateurs et le conduire à s'engager dans un combat plus centré sur la défense des droits de l'homme.
- En 1965, il est confronté à un coup de hasard comme la vie en réserve parfois : lors d'un congrès en Allemagne à Weimar, il fait connaissance avec l'un de ces allemands qu'il a côtoyé en 1942 à la caserne de Carcassonne et qui est devenu depuis le traducteur allemand de l'œuvre de Romain Rolland. Retrouvailles miraculeuses avec celui qu'il n'appellera plus désormais que « mon ami Hans Balzer. » « Souviens-toi, lui écrit-il, Hans mon ami, cette nuit du 16 au 17 mai dans Weimar endormie. Souviens-toi "jeunes frères ennemis". C'est par ces mots que commence Au-dessus de la mêlée... [8] Et cette nuit-là, dans la cité toute imprégnée de souvenirs de Goethe nous devions découvrir soudain que nous avons été cela. » [9]
- Il y eut ensuite cette histoire d'erreur judiciaire dans la région lyonnaise qu'il connaît bien pour avoir résidé 15 ans à Lyon, ce qu'on a appelé L'Affaire Deveaux, du nom de ce jeune homme condamné à la peine capitale (qui existait encore à l'époque) pour le viol et le meurtre d'une fillette. Procès bâclé selon les tenants de la révision du procès dont faisait partie Bernard Clavel car à l'époque, l'appel en cours d'assises n'existait pas encore. [10]
- Dans cette logique, il écrira aussi cette même année 1969, une lettre pamphlet très ironique au maire de Gambais pour se plaindre qu'on ne fête pas dans sa commune le centième anniversaire de la naissance de Landru, qu'il traite de modeste artisan à côté d'un Napoléon et dont il fait toujours ironiquement un précurseur des chambres à gaz. [11]
Liberté et objection de conscience
Tenant à la fois du refus de la guerre, de l'armée et de la défense des droits de l'homme se situe son combat pour faire reconnaître l'objection de conscience et en faire un droit de la personne humaine, non une simple preuve de lâcheté. Ce combat aussi prend racine dans une rencontre d'un homme pour qui il avait un respect immense et qui deviendra l'un de ses grands amis : Louis Lecoin. Il a souvent reconnu la valeur de l'homme, lui rend un hommage appuyé dans un chapitre de son essai Lettre à un képi blanc [12] Il écrira souvent des articles dans sa revue [13] et préfacera l'un de ses ouvrages. [14]
Il milite également contre la peine de mort avec le père Boyer, ne serait-ce que pour éviter les erreurs judiciaires comme dans 'l'Affaire Deveaux' deviennent irréparables, luttant contre cette fascination devant un exécution, faisant référence au vécu d'Albert Camus [15] qu'il a transcrit dans cette justice implacable qui s'abat sur (Patrice) Meursaut dans L'Étranger et le condamne à la peine de mort. [16]
Dans le même ordre d'esprit, il prendra toujours la défense des travailleurs, des humbles, peuple qu'il connaît bien puisqu'il se sent 'des leurs', à travers de nombreux articles, avec son ami Michel Ragon par exemple [17] ou dans le cadre de son engagement pour telle ou telle cause qu'il juge juste et tient à défendre. [18]
Paroles de paix
Dans les années 2000, il reprendra son combat en publiant un réquisitoire contre la guerre qui couvre l'histoire d'une famille de la première à la seconde guerre mondiale, aux nombreux éléments biographiques, qu'il a intitulé Les Grands Malheurs. À propos de ce roman, Françoise Xénakis écrivait : « Une énorme stature d’écrivain. »
Il va le compléter par la présentation d'un ouvrage basé sur des citations d'écrivains en faveur de la paix, Paroles de paix ainsi que sa participation au livre Cent poèmes pour la paix. Puis il va publier un dernier texte, repris comme préface au livre de Nakazawa Keiji, J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15, intitulée La peur et la honte.
La non-violence
« La non-violence, cette seule espérance » a-t-il intitulé un chapitre de son livre Écrit sur la neige. C'est ajoute-t-il le thème essentiel de son roman L'Hercule sur la place où les 'forts de foire' savent canalisent leur agressivité. Roman largement autobiographique de sa jeunesse quand il gagnait sa vie de cette façon dans les fêtes foraines avec son ami Kid Léon.
Il va ensuite participer à la vie de plusieurs associations qui prônent la non-violence comme Combats non-violents, la Coordination française pour la Décennie ou Non-Violence XXI et se lie d'amitié avec celui qu'il considère comme son maître en la matière, Jean-Marie Muller qui développe méthodes et stratégies en matière de non-violence. Il soutient activement Gaston Bouthoul, l'initiateur de la polémologie, l'analyse des mécanismes de la violence, étude des phénomènes de la guerre du point de vue politique, moral et sociologique. Pour lui, « la guerre est pire que le cancer, la peste, le choléra et rage réunis. »
Il aime citer son ami Roland Dorgelès dont il dit qu'il y a des Les Croix de bois un chapitre 'Mourir pour la patrie', « dont la lecture devrait être faite chaque année, pour le 11 novembre par exemple, dans toutes les écoles de France. » Dans son ouvrage Bernard Clavel, qui êtes-vous ?, il cite « trois livres de réflexion absolument essentiels » : Avoir détruit Hiroshima de Claude Eatherly et Günter Anders, La mort des autres de son ami Jean Guéhenno et De la désobéissance d'Erich Fromm. Il pense que la non-violence est « la seule arme qu'on puisse utiliser sans enfreindre aucune loi morale, sans poser un problème de conscience,sans courir le risque de devenir un tortionnaire ou un assassin. » Et de plus pour un tyran, elle « est une attitude plus difficile à réduire que la résistance armée. »
L'écologie
Pour lui, l'écologie sera de plus en plus intégrée aux droits de l'homme, le droit de vivre sur une planète où il fait bon vivre. Très tôt, il s'est élevé contre les travaux d'aménagement et les nombreux barrages sur le Rhône qui défigurent le paysage, font mourir le fleuve, « condamnent les plus beaux vignobles et les vergers merveilleux qui faisaient des printemps sur le Rhône une féerie de rose et de blanc. »
Déjà dans son roman Le Silence des armes, il préconisait la culture biologique pour respecter la terre et ne pas l'épuiser car il pense que « seuls les écologistes ont une conscience précise du danger et l'honnêteté de le dénoncer. »
Notes et références
- Voir son ouvrage autobiographique Bernard Clavel, qui êtes-vous ?
- Voir son roman Le Soleil des morts où son oncle en est la figure centrale
- Voir son roman, largement inspiré de souvenirs d'enfance et intitulé Quand j'étais capitaine
- Voir La guerre inhumaine, repris dans la biographie de Michel Ragon "Bernard Clavel"
- Voir aussi l'extrait paru dans la biographie de Michel Ragon Bernard Clavel parue chez Seghers
- Voir Claude Mossé Mourir pour Dacca, éditions Robert Laffont, 1972
- Voir Jean Guéhenno Journal des années noires
- Voir Romain Rolland, Au-dessus de la mêlée, Librairie Paul Ollendorff, 1915 (première édition)
- Voir l'article Jeunes frères ennemis, revue Europe, novembre 1965
- Voir sa préface Défense de Jean-Marie Deveaux à l'ouvrage L'Affaire Deveaux, Éditions et Publications premières, Paris, 1969
- Voir sa Lettre au maire de Gambais dans la biographie de Michel Ragon Bernard Clavel parue chez Seghers
- Louis Lecoin et l'objection de conscience, repris dans la biographie de Michel Ragon Bernard Clavel (pages 142-146)
- Revue Liberté de Louis Lecoin, articles de Bernard Clavel sur le pacifisme et l’objection de conscience
- Écrits, Louis Lecoin, extraits de 'Liberté' et de 'Défense de l'homme', Union Pacifiste (UPF), Boulogne, 255 pages, 1974
- Voir l'expérience de son père dans "L'Envers et l'endroit"
- Voir son livre autobiographiques Écrit sur la neige
- Par exemple, Ils ont semé nos libertés, Michel Ragon, avant-propos de Bernard Clavel, Éditions Syros, 1984
- Par exemple, Les Travailleurs Face à L'armée, Jean Authier, postface de Bernard Clavel, Moisan Union Pacifiste De France
Œuvres & Bibliographie
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Principaux récits et essais
- Principaux romans et essais :
- Le Silence des armes
- Le massacre des innocents
- Lettre à un képi blanc
- Les Grands Malheurs
- La peur et la honte, préface à J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15 de Nakazawa Keiji
- Principales récits et témoignages
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- Préface à l'ouvrage L'Affaire Deveaux
- Préface au livre de Claude Mossé Mourir pour Dacca
- Paroles de paix
- Cent poèmes pour la paix
- Principaux romans et essais :
- 1975 Lettre à un képi blanc, Éditions Robert Laffont
- 1997 Gandhi l'insurgé : l'épopée de la marche du sel, Jean-Marie Muller, préface de Bernard Clavel, Éditions Albin Michel, (ISBN 2-226-09408-3)
- 2003 Paroles de paix, texte de Bernard Clavel, illustrations de Michele Ferri, Éditions Albin Michel, 01/2003, 64 pages, (ISBN 2226129235)
- 2005 Le chien du brigadier, Sélection Du Reader's Digest, collection 50 Ans Sélection du Livre, 61 pages, 04/2005, (ISBN 2709816679)
- 2005 Les Grands Malheurs, Éditeur France Loisirs, 462 pages, 2005, (ISBN 2-7441-8462-4)
- 2005 J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15, Nakazawa Keiji, précédé de La peur et la honte de Bernard Clavel,
Éditions Le Cherche-Midi, 2005, 169 pages, (ISBN 2749104165)
- Jean-Marie Muller,L'Évangile de la non-violence, Fayard, 1969, (ISBN 2-213001197)
- Maurice Lelong, Célébration de l'art militaire
- Robert Boyer, La justice dans la balance
- Bernard Clavel pacifiste
- Il n'écrit plus que dans sa tête
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Bernard Clavel Récits et essais
Bernard Clavel et sa femme Josette Pratte Entrée de sa maison de château-Chalon
[En principe, les liens en rouge renvoient à mes fichiers publiés sous wikipedia]
Outre les romans pour lesquels il est surtout connu, l'écrivain Bernard Clavel a publié de nombreux textes, des récits sous forme d'albums ou de nouvelles, des essais qui éclairent les thèmes qu'il a abordés dans ses romans. Certains de ces écrits ont une importance toute particulière dans le cheminement de sa carrière et son évolution personnelle.
Les récits et les nouvelles
Les nouvelles les plus importantes sont les deux histoires qui se passent au Canada -font partie des "œuvres canadiennes"- La Bourelle et L'iroquoise, Tiennot ou L'île aux Biard ainsi que le recueil qu'il publia en 1966 sous le titre repris de la première nouvelle L'espion aux yeux verts.
Plusieurs textes expliquent largement sa recherche dans ce qu'il a lui-même appelé sa géographie sentimentale qui s'enracine d'abord dans les pays du Rhône et la Franche-Comté : - Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu, repris plus tard sous le titre Je te cherche vieux Rhône. (14 de ses romans se passent en partie ou en totalité dans les pays du Rhône) - Terres de mémoire -sous titré Jura- où avec deux autres écrivains Georges Renoy, et Jean-Marie Curien, il évoque sa région natale et en particulier le département du Jura.
Il a aussi écrit une de nombreux textes sur ses terres de prédilection, essentiellement Lyon et sa région [1] ainsi que quelques textes sur le Jura [2]. Ceci explique le fait que l'action de la quasi totalité de ses romans se situe dans ces deux régions auxquelles il faut ajouter le Québec où il a résidé avec celle qui allait devenir sa seconde femme, Josette Pratte.
Les essais
Deux d'entre eux sont particulièrement intéressants dans son évolution : Lettre à un képi blanc, dénonciation de la violence et de la guerre, 'mise au point' après la diffusion de son roman Le Silence des armes. Le massacre des innocents qui fait suite à sa rencontre avec le responsable de l'association Terre des hommes et le mènera à un engagement personnel de plus en plus important pour défendre tous les enfants du monde, d'abord ceux que la guerre menace puis tous les enfants victimes de sévices, de famines, menacés d'extermination.
Il va agir aussi pour diffuser ses idées, à travers des articles, des préfaces pour des livres contre la peine de mort [3], défendant les enfants en danger, agissant particulièrement pour le Bangladesh [4], réaffirmant avec force son pacifisme, luttant pour l'objection de conscience avec son ami Louis Lecoin [5] et ses positions non-violentes avec le mouvement associatif Non-Violence XXI.
Dans les années deux mille, il revient largement sur son engagement en faveur de la paix, militant et toujours écrivains quand il publie des textes d'appel à la paix comme Paroles de paix, en 2003 sur des illustrations de Michele Ferri ou Le chien du brigadier en 2005. Après avoir abordé la question dans la présentation de son roman Les Grands Malheurs, Bernard Clavel dans son dernier texte écrit en 2005 La peur et la honte publié avec J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15 de l'écrivain japonais Nakazawa Keiji, lance un vibrant réquisitoire contre l'arme atomique.
L'espion aux yeux verts
Ce recueil contient neuf nouvelles qui sont les suivantes : L'espion aux yeux verts, Le père Vincendon, Légion, Le jardin de Parsifal, Le fouet, la barque, L’homme au manteau de cuir, Le soldat Ramillot et Le père Minangois. Il nous offre des instantanés de vie, mélange de drames, de fraternité, de perfidité et de fragilité.
L'arbre qui chante L'espion aux yeux verts
Voilà ce qu'à écrit Bernard Clavel au sujet de la nouvelle, ce genre parfois décrié : « Nous portons tous en nous un lot de souvenirs, de sujets, de personnages, qui n'ont leur place dans aucun roman. Pour cette partie cependant précieuse de notre bagage sentimental, la nouvelle est un beau refuge. Plus fréquemment que le roman, elle est une œuvre jaillie du plus secret de l'écrivain et écrite sous la poussée d'une envie à laquelle il ne saurait résister. D'où, souvent, sa surprenante richesse. »
C'est la nouvelle qui lui a permis de faire ses premières armes en littérature mais il reconnaît volontiers que c'est un genre difficile « où toute tentation de tricherie compromet définitivement les chances de réussite. » Pour lui, un bon nouvelliste se rapproche des conteurs d'autrefois, ceux qui à partir d'une petite anecdote, étaient capables comme sa mère savait si bien le faire [6] de bâtir une histoire juste pour le plaisir de raconter, d'apporter un peu de joie à la veillée autour d'un bon feu. « Essayer de s'approcher d'eux, dit-il, est sans doute très ambitieux, mais c'est une grande tentation. »
L'espion aux yeux verts raconte un instant de vie intimiste. Félicien, un veuf parano, passe ses journées à se lamenter auprès de son chat. Mais il se peut aussi que le félin complote lui aussi contre lui, qu'il soit de mèche avec tous ceux qui l'observent, qui l'épient. Aussi sa méfiance augmente-t-elle envers son chat et il le regarde d'un autre œil. Pauvre homme bien malheureux de voir le mal partout. Il la dédie à son fils Yves, « véritable père de cet espion. »
Le père Vincendon est un ami de son père et aussi un voisin qui n'habite pas très loin de chez eux. Ils se rendent visite, discutent entre hommes qui ont des souvenirs communs, qui ont l'enfer de la guerre des tranchées pendant la première guerre mondiale. Ils s'étaient perdu de vue, quinze années sans se revoir, c'est long. Et puis, cet ami est infiniment précieux, il éprouve une passion pour le bois et le travaille avec application, avec tout son savoir-faire. Bernard Clavel a conservé de Vincendon ce précieux héritage : son bureau, son coffre aussi et sa boîte de peinture. « Elle avait été faite avec amour, comme tout ce que faisait Vincendon. »
Dans Légion, on assiste à l'arrivée d'un légionnaire dans un petit village, ce qui n'est pas chose anodine. L'homme tient à se faire adopter, se fait des amis, est d'une serviabilité exemplaire... mais il a un défaut, un défaut qui peut paraître véniel mais qui devient un handicap dans un petit village, il est beaucoup trop curieux et sa curiosité le perdra. Pourquoi diable ce village finit-il en cul-de-sac, ne débouche-t-il pas quelque part ? Répondre à cette question, c'est soulever un voile qu'il n'est jamais bon de soulever.
Cette nouvelle, Bernard Clavel l'a dédiée à son ami l'écrivain Pierre Mac Orlan. Elle a fait l'objet en 1971 d'une adaptation télévisée tournée à Lons-le-Saunier et dans un village voisin Courbette, mise en scène par Jean Prat et Philippe Joulia avec Pierre Trabaud, René Lefèvre et Béatrice Audry dans les rôles principaux.
Le jardin de Parsifal raconte la triste histoire d'une espèce de Landru, d'un homme qui devient un meurtrier mais heureusement la morale sera sauve car son amour des chiens causera sa perte. Parsifal le chien, mourra pour défendre son maître qui n'aura plus que son petit teckel. Les chiens, des animaux que Bernard Clavel aimait tout particulièrement, qui sons très présent dans son œuvre.
Cette nouvelle est la seule du recueil à être datée : Lyon, 17 avril 1962
Dans cette courte nouvelle, Le fouet, un homme Paul Nanerwicz reconnaît, pendant un spectacle de cirque, herr Peitschenmann, un terrible bourreau nazi qui s'est reconverti comme artiste, un homme qui maniait trop bien le fouet pendant la guerre.
Les artisans chers à Clavel : cordonnier dans son échoppe
Dans La barque, des hommes affrontent une crue : un homme portant un manteau de cuir, un poste de guet accueille un homme complètement trempé par un terrible orage, malgré la rigueur du règlement qui interdit de laisser entrer un civil dans un poste de garde.
Cette nouvelle rappelle son roman Pirates du Rhône, le crue du fleuve quand les riverains s'entraident pour monter dans l'urgence les meubles au premier étage des maisons.
Le soldat Ramillot rappelle un épisode de L'Espagnol quand ce dernier, Pablo, a une aventure amoureuse avec sa patronne. Un soldat se présente auprès d'une paysanne pour des travaux agricoles. Ils passent une soirée de plénitude et de plaisirs mais dès le lendemain, toujours pour les mêmes raisons de rigueur d'un règlement appliqué à la lettre, le soldat est porté déserteur. C'est le lendemain qu'Angèle apprendra que le soldat s'est noyé dans la Seille après avoir été mordu par une vipère.
Cette nouvelle, Bernard Clavel l'a dédiée à son ami Jacques Peuchmaurd qui l'a beaucoup aidé lors de ses débuts difficiles.
Le père Minangois était un vieux cordonnier que le narrateur a bien bien -comme le père Vincendon, le luthier- et dont il se souvient avec une grande nostalgie. « Et pour moi, se confie Clavel, il reste l'image d'un grand vieillard bougon, sec et dur comme le vent d'hiver, mais qui avait, dans sa façon de vous regarder ou de vous empoigner la main, une de ces choses mystérieuses et précieuses, qui font partie de ce qu'un homme conserve éternellement parmi les trésors de son enfance. » C'est cette parcelle de trésor préservée que Clavel voudrait nous faire partager.
« Il paraît qu'il est mort alors qu'on s'apprêtait à fêter son centenaire en même temps que la libération du pays. »
Les nouvelles canadiennes
L'iroquoise
Karl, un marin, vient de débarquer dans le port de Boston. Dans le bar où il se rend, une bagarre éclate et, sur un coup de poing malheureux, il tue un homme qui de plus s'avère être un policier. « Pauvre de toi, tu as tué un flic » lui lance-t-on. C'était un sale flic, combinard et corrompu, et les gens sont bien aise d'en être débarrassés, « T'as fait une sacrée bonne action, matelot, tu nous as débarrassé d'une belle ordure. Certain que personne va le pleurer, celui-là. » Mais il est obligé de fuir la ville pour se réfugier dans le grand nord.
Au cours de sa fuite, il rencontre une jeune iroquoise Aldina avec laquelle il se marie. Elle, qui n'a connu que les grandes étendues glacées, rêve de la ville, « quand nous irons dans ton pays, tu me montreras ce que tu sais de la ville. [...] La ville elle en rêvait nuit et jour... des villes immenses, des lumières, des cinémas. » Mais Aldina ne connaîtra jamais la ville, le jour de leur départ pour Toronto, elle fait une chute mortelle de cheval. Tout est consommé sur cette fin dramatique en forme de morale qui signifie qu'à la ville, le bonheur est impossible.
Ce constat négatif sur la ville et ses effets pervers, Clavel le développe aussi dans un des tomes de Le Royaume du Nord, Amarok qui débute par une intrigue identique : Lors d'une bagarre dans un bar, Timax frappe un policier ivre dont la tête heurte un coin de table et qui décède, obligeant Timax et son oncle Raoul à fuir aussi vers le grand nord. On retrouve ce thème dans d'autres romans de Clavel, dans Le Tonnerre de Dieu quand Brassac fait ses virées dans des boîtes de Lyon et qu'il rentre ivre, ou dans Le Voyage du père où la grande ville transforme Marie-Louise en prostituée.
Le thème de l'injustice revient souvent chez Clavel par exemple dans Les Colonnes du ciel quand toute une communauté s'enfuit jusqu'en Suisse, poursuivie par la guerre et les armées du roi de France, dans Brutus quand le groupe de gaulois chrétiens est contraint de fuir la colère des Romains, dans Maudits sauvages aussi, le dernier tome de Le Royaume du Nord où les avocats des indiens spoliés ne pourront rien contre l'administration ainsi que dans Cargo pour l'enfer où l'armateur-escroc agit en toute impunité. [7]
Cette nouvelle indique Clavel a été commencé à Saint-Télesphore le5 juin 1978 et terminée à Westmount le 27 septembre 1978.
La bourrelle
« C'était dans la ville de Québec, en l'an mille sept cent et quelque... » ainsi commence cette nouvelle écrite en 1980, au moment où paraît le dernier tome des Colonnes du ciel. Ce livre s'appuie sur la réalité de l'époque, la justice est dure pour la jolie Jeanne, menacée d'être pendue pour un menu larcin, or explique-t-il, « elle veut vivre à tout prix. Elle sait que si le bourreau épouse une condamnée, on la gracie. Mais elle sait aussi qu'être "bourrelle" est un affreux destin. »
Clavel indique même ses sources documentaires : « Mes sources de documentation pour cette nouvelle ont été les bibliothèques de Québec et de Montréal... l'étude que monsieur André Lachance a consacrée au "Bourreau au Canada sous le régime français... » Voilà le cadre réaliste bien campé dans lequel vont pouvoir évoluer les personnages. Le métier de bourreau est très particulier, il exerce sur les gens à la fois de la fascination et beaucoup de répulsion. Personne ne veut de cette charge et le gouverneur a été contraint de faire placarder un arrêt « qui interdisait au peuple d'insulter le maître des hautes œuvres et les siens, les Québécois s'en moquaient comme d'un gel de janvier. »
Marcel, le bourreau, supportait mal son état et cette vie de réprouvé eut un effet déplorable sur son humeur. Il lui arrivait de ne plus pouvoir supporter cette situation, « je suis maudit, hurlait-il. Je te dis que je me prépare les feux de l'enfer... Toutes les malédictions du ciel sont sur nous... sur toi et moi ! » Chez le boulanger par exemple, elle ne devait pas toucher le pain. Elle devait prendre celui qui lui était réservé, placé à l'écart des autres, marqué « d'une cocarde rouge qu'elle retirait pour la rendre à la boulangère en même temps qu'elle payait. »
Au-delà de l'histoire, Bernard Clavel,dénonce les abus de l'institution judiciaire qu'il avait déjà traités dans Les Colonnes du ciel à travers le procès expéditif contre Mathieu Guyon (La saison des loups) et le procès en sorcellerie, procès truqué mené par un juge corrompu contre Hortense (La femme de guerre) [8]. Il en profite aussi pour stigmatiser la peine de mort, alors toujours en pratique en France et les pratiques des bourreaux qui bien souvent soumettaient les suspects à la question.
Avec ces deux nouvelles, « c'est le monde de la politique et de la justice qui et sur la sellette » estime André-Noël Boichat. L'horreur de la vie de bourreau est une métaphore pour montrer l'horreur de la torture et de la peine de mort.
Cette nouvelle est dédiée à son ami Georges Renoy. [9]
Les autres nouvelles
L'Homme du Labrador
Ce texte étant parfois considéré comme un court roman, parfois comme une nouvelle, une fiche spécifique lui a été consacrée.
Pour un accès direct, cliquer sur le lien : L'Homme du Labrador
Tiennot ou L'île aux Biard
Le récit commence par cette dédicace : « À Pierre Trabaud en souvenir de Légion et d'un Tiennot qu'il a bien connu. »
À la mort de son père Justin, tout le village s'exclame : « Le pauvre petit, le voilà seul à présent. » Tiennot est un bon garçon un peu simplet mais très gentil; il travaille pour les uns ou pour les autres, toujours serviable et vit seul désormais sur son île située sur la rivière de la loue dans le département du Doubs, isolé par le fait même que c'est une île. Il a bien ses poules et ses lapins, son mulet à qui il se confie. La solitude solitude lui pèse, c'est évident, aussi dans le village, on décide de lui trouver une femme. « On te dit seulement qu'un homme tout seul, c'est jamais drôle » répète le cafetier. Ce sera Clémence, une jeune femme qui ne se plaît guère dans ce lieu retiré. Tiennot est trop naïf pour se rendre compter du piège qu'on lui tend, une sordide machination pour lui extorquer ses maigres économies.
Clémence, elle restera deux mois, comme prévu dans son 'contrat' puis s'en ira, laissant ce pauvre Tiennot désespéré : « Sûr qu'elle reviendra plus, c'est sûr » se lamente-t-il. Quand il comprend enfin que le cafetier Flavien et sa femme se sont joués de lui, il explose : « L'écume aux lèvres, le visage déformé par la colère qui faisait trembler tous ses membres, Tiennot s'avança en criant : "Salaud ! C'est toi qu'a tout fait ! » Dès lors, le drame est inévitable et tout finira très mal pour les protagonistes.
Cette histoire développe un thème cher à Bernard Clavel. Robert Paillot dans Malataverne ou Félicienne Marquand dans La Guinguette vivent des histoires parallèles de solitude, d'absence d'aide, d'assistance de la part d'un parent, d'un ami et c'est cette absence même qui fait qu'on bascule dans le drame. A contrario, c'est parce qu'il trouveront de l'aide, une main secourable que Pierre Vignaud dans L'Hercule sur la place ou Simone Garil dans Le Tonnerre de Dieu pourront s'en sortir.
Les Récits
Accéder à l’article sur le Rhône : Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu
Victoire au Mans
Ce livre, Bernard Clavel l'écrit à partir des notes prises quand il a suivi la préparation et la course d'une écurie lors de la course des 24 heures du Mans. Il s'estime « sans qualification » pour effectuer ce reportage qui lui vaudra le Prix Jean Macé en 1968. Il donne finalement son accord parce qu'il a envie « de découvrir un métier et des hommes. » Ce qui dépassera ses espérances et il dit lui-même après avoir découvert ce métier, du bord de la piste : « J'avais rencontré au Mans une chose simple : la vie. Une vie inconnue, attirante comme une eau à la fois limpide et tourmentée de remous. Une vie pour des hommes... qui forment une corporation solide, soudée, étroitement unie par ce beau ciment que constitue l'un des métiers les plus difficiles et les passionnants du monde. » Il note avec plaisir cette répartie d'un jeune mécanicien : « J'ai fini mon apprentissage : j'ai dix-huit ans... et à la fin de l'année, je serai ouvrier. » Un apprentissage qui doit sans doute lui rappeler l'apprenti-pâtissier exilé à Dole et la dure existence qu'il a connue alors.
Bernard Clavel a longtemps hésité à transcrire ce reportage sous forme de roman ou de récit et a finalement opté pour cette dernière forme parce qu'elle exprimait plus directement son expérience. On retrouve ici une idée chère à Clavel : le travail c'est la vie. Il rejoint à la fois le côté passionnel et le côté ludique où se développent solidarité et amitié, même si c'est pénible, même s'il faut en passer par des moments difficiles.
Il commence son récit par les deux citations suivantes :
« L'homme vraiment fort est celui qui sent le mieux que rien n'est donné… » Paul Valéry
« Il n'y a pas de grandeur sans un peu d'entêtement. » Albert Camus
L'ami Pierre
C'est un album écrit "à quatre mains" entre Benard Clavel Jean-Philippe Jourdrin, récit imaginaire d'un paysan qui aime le bois. e paysan a une particularité : il construit en "bois de lune". Une essence spécifique de la région ? Pas du tout. Il s'agit d'une coutume qui vient de très loin, de l'époque des rois, de 'l'ancien régime'.
Clavel en Franche-Comté
Les pauvres, des journaliers qui ne possédaient aucun lopin de terre, même tout petit, mais qui étaient précieux pour l'économie de leur commune, avaient obtenu le droit de construire une petite maison en planche sur les 'communaux', les terrains de la commune où personne n'avait le droit de les déloger. Mais à une condition : parvenir à construire la maison entre le coucher et le lever du soleil, à la lueur de la lune (d'où son nom) qui lui appartenait jusqu’à sa mort. Ce portrait imaginaire est agrémenté de magnifiques photos de Jean-Philippe Jourdrin qui en regard, raconte la propre vie de Pierre, paysan breton né en 1899 et originaire du Morbihan.
Terres de mémoire
Dans ce livre sous-titré Jura, Bernard Clavel avec d'autres écrivains, raconte son Jura, écrit « Quand on aime quelque chose, il y a une sorte de bonheur à le faire partager. » Ce bonheur, c'est celui de quelques souvenirs qui lui sont chers et qu'il égrène ici avec jubilation et une certaine pudeur.
Bien sûr, ses Terres de mémoire correspondent à ce qu'il a lui-même appelée "sa géographie sentimentale", c'est le cœur qui choisit de partir quand la déception l'emporte comme après qu'il eut quitté Château-Chalon pour la région parisienne, ce sont ses sentiments qui commandent à son installation au Québec avec sa seconde épouse Josette Pratte, avant qu'il n'éprouve un coup de cœur pour ce pays mais une seule passe toutes les autres qui se trouve précisément à Lons-le-Saunier dans « le jardin de mes parents (où) son père y avait toute sa vie ». (interview d'août 1980)
Bernard Clavel y évoque les lieux qui sont chers, ceux qu'il voudrait préserver, d'abord et à défaut dans la mémoire, qu'il aimerait bien pouvoir transmettre à d'autres générations. Il parle avec émotion de cette terre du Jura et surtout de ces lieux de mémoire qui renvoient à son enfance. D'abord, Lons-le-Saunier bien sûr sa ville natale, le quartier où il a grandi, la maison et le jardin de ses parents, au-dessus de la ville le cirque de Baume-les-Messieurs et la cité de Château-Chalon où se déroule son roman Le Silence des armes. La région de Dole aussi, la ville où il a passé très souvent ses vacances chez son oncle et sa tante, le Doubs et le canal qui serviront de décor à son roman Le Tambour du bief, la loue, c'est belle rivière qui traverse la forêt de Chaux et La Vieille-Loye qui seront le point central de sa suite romanesque Les Colonnes du ciel.
Sur ses terres de mémoire, Bernard Clavel a aussi publié un album intitulé Bonlieu ou le silence des nymphes. [10] Le lac de Bonlieu est d'origine glaciaire, dominé par une magnifique forêt quand à l'automne elle se reflète dans ses eaux calmes. Dans ce livre, Clavel évoque avec une certaine nostalgie et beaucoup de passion le Jura tel qu'il l'aime avec sa nature encore sauvage et préservée où on peut longtemps se promener sans être dérangé par les bruits de la civilisation qui fait des ravages, même dans d'autres parties du Jura.
Activités, paysages et nature
Les arbres et le bois
Bernard Clavel est un amoureux du bois. Il a toujours eu un rapport particulier avec cette matière, sa texture, son odeur, son travail par la main experte d'un artisan, la patine du temps qui lui donne une noblesse et fait varier ses couleurs. Il le tient en grande partie du père Vincendon, le luthier ami de son père, qui habitait près de chez eux à Lons-le-Saunier. Vincendon, on le retrouve d'abord dans la nouvelle qu'il lui a consacrée, qui est incluse dans L'espion aux yeux verts. [11] Il est aussi présent dans le premier comte qu'il a écrit pour la jeunesse L'arbre qui chante et qui donne donne son au recueil de comtes paru dans ses œuvres complètes : c'est bien Vincendon qui, avec ses dons de luthier, va faire chanter le bis en le transformer en un magnifique violon qui enchantera ses auditeurs. Clavel dira dans une interview : « Quand un arbre meurt, il peut toujours rester vivant pour ceux qui savent le travailler. »
Cet amour du bois lui vient aussi du fait qu'il a exercé le métier de bûcheron dans sa jeunesse et garde un bon souvenir de cette époque : « J’ai pratiqué le métier de bûcheron, je sais de quoi il est question. Ces gens-là ... savent leur parler, les approcher, les guetter des années durant pour les préserver du mal. Les protéger avec un dévouement admirable pour mieux les abattre un jour. Qu’on le veuille ou non, l’être humain le plus proche de la forêt reste le bûcheron. » Il écrira en mars 1980 un récit-album qui s'appelle tour simplement Arbres où il présente des variétés d'arbres qui peuplent la planète, où teste et photos se marient parfaitement, rencontre un bûcheron amoureux lui-aussi des arbres et dont la « compagnie suffisait à sa vie. » Son livre est agrémenté d'une cinquantaine de photos d’arbres ou de forêts de Jean-Marie Curien.
Dans un autre album intitulé Célébration du bois, Bernard Clavel il veut nous faire partager son amour du bois, matériau noble par excellence, se projette dans un atelier semblable à celui de Colas Breugnon [12], la vie toute simple d'un artisan qui essaie de découvrir au fond du bois, au tréfonds de son cœur, le mystère qui s'y cache et qu'il veut révéler à travers son travail. Pendant les longs mois d'hiver, comme dans le temps, l'artisan peaufinera ses objets dans la bonne odeur de la sciure et du chien qui sommeille à ses côtés.
Une description qu'il reprendra dans son roman Le Voyage du père dont le début se passe dans un petit village au-dessus de Lons-le-Saunier, parfois isolé l'hiver par une neige épaisse qui rendait difficile le simple fait de descendre jusqu'à la gare, quand l'hiver est là « qui vous garde enfermé pour le temps que tiendra la neige ». Quand le bois est rentré, l'hiver peut venir, ce bois qui réchauffe et qu'on va pouvoir travailler.
Géographie sentimentale
Bernard Clavel a aussi célébré ses autres Terres de mémoire, ce qu'il nomme sa géographie sentimentale dans ses romans mais aussi dans quelques albums où il parle de lieux où il a vécu comme le Bordelais, le vin et la vigne, lui qui vient d'un pays viticole -le Revermont jurassien et son célèbre vin jaune- ou Le Royaume du Nord qui rappelle sa suite romanesque et dont il a tiré un album. Avec son album Fleur de sel, les marais salans de Guérande, Bernard Clavel nous emmène dans le guérandais, dans une évocation de l’océan, « calme et luisant dans son immensité. » Un récit illustré des photos de Paul Morin où il nous entraîne à la découverte de la "substantifique moelle" extraite du sel, cette fleur de sel qui est pour lui « ce précieux flocon des marais. »
La vigne est le thème de son album Contes et légendes du bordelais consacré au vin et à la vigne où se mêlent récits, contes et légendes. « Je suis né dans un pays de vignoble » précise-il en introduction. Il s'inscrit aussi dans son idée d'écrire une série de livres sur les contes et légendes qu'il réalisera en partie. [13] On le retrouve dans un autre album qui s'intitule tout simplement Les Vendanges, agrémenté de photographies de Janine Niepce qui vient d'une famille de vignerons, des photos d'avant la mécanisation, prises dans les années 1950, « des gueules au type physique très reconnaissable ; des visages ronds, assez hauts en couleur à cause du vin et de l’air vif » dit-elle d'un air mutin.
Des vendanges en automne, on passe à l'hiver avec un bel album au titre simple L’Hiver, fait de 150 photographies, de dessins et d'aquarelles de Bernard Clavel. Lui qui s'est voulu peintre avant de devenir écrivain, précise : « Pour ma part, c’est toujours l’hiver qui m’a donné aussi bien envie de peindre que d’écrire. » Cet album est constitué des paysages hivernaux qu'il a bien connus, le lac Léman, Montréal et l'Abitibi, de l'Irlande à la Suède et à la Norvège, des paysages qui se mêlent aux hivers de son enfance dans le Jura, De la vallée de la Seille au Doubs : « L’hiver, voilà le maître du pays », un constat qui rappelle Le Voyage du père, les rigueurs d'un hiver où la ferme et ses habitants vivent à l'intérieur en attendant des jours meilleurs. « Il a bien fallu ces coulées de gel, ces colifichets de givre et ces capuchons de brouillard pour que son œuvre graphique sorte des cartons » commentait Anne-Marie Koenig en 2003 dans Le Magazine littéraire.
L'hiver, c'est aussi le territoire du Royaume du Nord, l’épopée des pionniers de sa saga mise en images, ces pionniers, tour à tour trappeurs, prospecteurs et mineurs, qui s'enfoncent dans les bois, se perdent au détour de rivières et découvrent les Indiens. « Tous soudés à cette terre. Suivant les pistes qu’ils y ont tracées, j’ai fait bien des rencontres. Même si j’ai subi le vertige des longues courses solitaires, j’ai toujours recherché le contact des êtres. » Au-delà des années, les souvenirs puissants sont toujours là, par exemple « un spectacle que je n’oublierai jamais, la débâcle des glaces sur le Saint-Laurent. [...] Je crois que l’hiver est une saison qui pousse l’homme à s’exprimer. À dire ce qui monte en lui de brûlant lorsque se déchaîne la tempête de neige, lorsque se tisse et se déchire le rideau gris des flocons blancs. »
Présentation des essais
Les essais les plus importants font l’objet d’articles séparés :
Le chien du brigadier
Bernard Clavel est un amoureux des chiens. Il écrira pour la jeunesse un recueil Histoire de chiens puis Le Chien des Laurentides, un pauvre chien vagabond trempé par l'orage qui recherche un ami ou une amie, dans son roman Le Tonnerre de Dieu, Brassac au cours de ses virées à Lyon ramènera chez lui cinq chiens et il inscrira cette citation de Jules Renard éclairante de sa pensée, au début de ce livre Le chien du brigadier : « Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien ».
Paroles de paix
Bernard Clavel fait précéder son ouvrage de cette citation tirée du philosophe Spinoza, qu'il considère comme son credo : « La paix n'est pas l'absence de la guerre, mais une vertu qui naît de la force de l'âme. »
Il poursuit la présentation de ce livre où il a consciencieusement recueilli des paroles de paix, celles qui l'ont le plus touché, tout en se demandant s'il n'est pas un rêveur, un utopiste quand l'humanité « risque de se perdre » entraînée par la folie de quelques uns et l'impuissance de la plupart des hommes politiques et s'il n'est pas dérisoire d'entreprendre ce travail.
Mais il continue pourtant, en appelle encore une fois à son maître Romain Rolland : « Durant cette quête, les plus grands pacifistes que j'ai eu le privilège de fréquenter n'ont cessé de m'accompagner. Ce matin encore, ils sont tous là, ombres fraternelles, grandes voix qui me répètent avec Romain Rolland que, quelles que soient les circonstances, c'est toujours Au-dessus de la mêlée que l'homme doit tenter de se hisser. [...] Il semble qu'à certains, le mot 'paix' fasse peur. il est pourtant le seul que l'on devrait écrire au fronton des édifices où l'on enseigne. »
La peur et la honte
Déjà dans son roman Les Grands Malheurs écrit à la même époque [14] Bernard Clavel note : « 6 février 2002 : Je suis un vieil homme habité par la guerre, la garce me poursuit où que j’aille et quoi que je fasse. » Et il ajoute « 10 avril 2003 : Je suis aujourd’hui un vieil homme habité par la peur. » Voilà le mot peur lâché, le sentiment amer de cette bête immonde qui le poursuit comme si elle était enragée.
Il a une pensée particulière pour « ceux qui vivaient à l’ombre du ginkgo biloba d’Hiroshima jusqu’au 6 août 1945 ». C’est ce dernier cri, mêlé de honte pour la civilisation occidentale auteur de ce forfait, qu’il va reprendre dans cet avant-propos qu’il a intitulé La Peur et la Honte, introduction au livre de l’écrivain japonais Keiji Nakazawa J’avais six ans à Hiroshima le 6 août 1945, 8 h 15.
"Champignon" atomique
C'est effectivement le 6 août 1945, à 8 h 15 du matin, comme l'indique Nakazawa dans le titre de son livre, qu'apparaît dans le ciel d'Hiroshima une gigantesque boule de feu à quelque cinq cents mètres d'altitude et que le monde entre dans l'ère nucléaire. Rien jamais, ne sera plus comme avant. Ce jour ouvre une nouvelle donne fondamentale dans les arcanes de la géopolitique, prologue d'une menace planétaire létale.
C'est cette vision rehaussée par le témoignage impitoyable de Nakazawa, que Bernard Clavel trouve insupportable et qu'il combat encore avec une vigueur renouvelée car il est un homme dit-il « qui croit invinciblement que la science et la paix triompheront de l’ignorance et de la guerre. » [15] Optimisme mesurée par la réalité du court terme. Description d'apocalypse appuyée par des photos saisissantes comme seules des photos peuvent rendre la réalité et le témoignage passionné de Bernard Clavel qui écrit en militant pacifiste qu'il est : « C'est le germe de la guerre qu'il faudrait extraire du cœur de l'homme. »
Notes et références
[1] On peut citer : Le Vieux Lyon est-il menacé ?, L'école lyonnaise de peinture, Le grand art de la soie...
[2] Par exemple, La table au pays d 'Henri Maire ou Franche-Comté Champagne Ardenne, La France et ses Trésors
[3]Voir L'Affaire Deveaux, article de Bernard Clavel, Édition Publication Première, collection Édition Spéciale, 265 pages, 1969
[4]Mourir pour Dacca, Claude Mossé, préface de Bernard Clavel, Paris, Robert Laffont, in-8 broché, 220 pages, 1972
[5] Écrits, Louis Lecoin, extraits de 'Liberté' et de 'Défense de l'homme', préfaces de Bernard Clavel et de Robert Proix, Union Pacifiste (UPF), 255 pages, 1974, Revue Liberté de Louis Lecoin, articles de Bernard Clavel sur le pacifisme et l’objection de conscience
[6] Voir son livre de souvenirs centré sur son enfance Les petits bonheurs
[7] On pourrait même remonter jusqu'à Pirates du Rhône où la jeune Marthe, la fiancée de Gilbert, meurt à cause des gendarmes
[8] Cette dénonciation de l'abus de pouvoir est reprise dans Le Royaume du nord (Amarok et Maudits sauvages) ainsi que dans Cargo pour l'enfer
[9] C'est avec Georges Renoy que Bernard Clavel écrivit son récit Terres de mémoire, Georges Renoy étant l'auteur de la seconde partie
[10] Bonlieu ou le Silence des nymphes, dessins de J.-F. Reymond, Éditions H.-R. Dufour, Lausanne, 1973
[11] Une adaptation télé en a été faite en 1980 par Franck Apprederis avec Jacques Dufilho, Jacques Rispal...
[12] En même temps, il rappelle par cette évocation la profonde admiration qu'il portait à Romain Rolland
[13] Voir en particulier Légendes des lacs et des rivières, Légendes des montagnes et des forêts, Légendes de la mer, Légendes du Léman
[14] Il termine Les Grands Malheurs dans sa maison de La Courbatière le 29 octobre 2005
[15] Citation de Louis Pasteur, un homme qu'il connaît bien quand son père l'emmenait visiter religieusement sa maison à Dole et qu'il a placée en exergue dans Les Grands Malheurs
Bibliographie
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Principaux récits et essais
- Essais :
- Le massacre des innocents
- Lettre à un képi blanc
- Le chien du brigadier
- Paroles de paix
- La peur et la honte
- Récits et nouvelles :
- L'espion aux yeux verts
- Victoire au Mans
- La bourrelle --- L'iroquoise --- Tiennot
- L'Homme du Labrador
- Histoire et géographie « sentimentales »
- Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu
- Terres de mémoire --- --- L'ami Pierre
- Activités, paysages et nature
- Essais :
- 1979 L’Iroquoise, L'instant romanesque, Éditions Balland,
- 1980 La Bourrelle, Éditions Balland,
- 1997 Gandhi l'insurgé : l'épopée de la marche du sel, Jean-Marie Muller, préface de Bernard Clavel, Éditions Albin Michel, (ISBN 2-226-09408-3)
- 2005 Le chien du brigadier, Sélection Du Reader's Digest, collection 50 Ans Sélection du Livre, 61 pages, 04/2005, (ISBN 2709816679)
- 1970 Le massacre des innocents, Éditions Robert Laffont,
- 1975 Lettre à un képi blanc, Éditions Robert Laffont
- 1979 Le Rhône ou les métamorphoses d’un Dieu, Éditions Hachette Littérature, photos Yves-André David,
- 1984 repris sous le titre Je te cherche vieux Rhône, Éditions Actes Sud, 02/1984, couverture Christine Le Bœuf, (ISBN 2-7427-2688-8), réédité en avril 2000
- 1981 Terres de mémoire, le Jura, de Bernard Clavel, Georges Renoy, et Jean-Marie Curien, Éditions Jean-Pierre Delarge, réédité en 1989, Éditions universitaires, (ISBN 2711302024)
- 2003 Paroles de paix, texte de Bernard Clavel, illustrations de Michele Ferri, Éditions Albin Michel, 01/2003, 64 pages, (ISBN 2226129235)
- 2005 J'avais six ans à Hiroshima. Le 6 août 1945, 8h15, Nakazawa Keiji, précédé de La peur et la honte de Bernard Clavel,
Éditions Le Cherche-Midi, 2005, 169 pages, (ISBN 2749104165) - Les Grands Malheurs, Éditeur France Loisirs, 462 pages, 2005, (ISBN 2-7441-8462-4)
Voir aussi
- Droits de l'homme (Clavel)
- Contes et nouvelles (Clavel)
- Portrait de Bernard Clavel, Marie-Claire de Coninck, Éditions de Méyère
<<< Christian Broussas - Clavel Récits & essais - 10/2013 >>>
Bernard Clavel Ecrits autobiographiques
Bernard Clavel, qui êtes-vous ?
[Les textes en rouge renvoient à mes articles wikipedia]
Il y a une résonance, une connivence entre ces deux ouvrages où Bernard Clavel égrène ses souvenirs et nous livre une partie de lui-même dans Les Petits Bonheurs et Bernard Clavel, qui êtes-vous, qui font l'objet d'une partie de cette présentation. Évoquant des souvenirs, Bernard Clavel nous confie que « ce sont des choses que l'on croit avoir oubliées, mais qui sommeillent en vous et ressortent quand quelqu'un s'avise de les aiguillonner. »
Sa vocation d'écrivain transparaît, se dévoile quelque peu avec cette citation de Jean Guéhenno : « Les impressions d'enfance marquent la couleur de l'âme, » et son passé entre une mère conteuse-née et un père ressassant des souvenirs comme Henri Gueldry dans son roman Quand j'étais capitaine qu'on retrouve dans les tranchées creusées avec ses copains près du hangar. C'est lors d'un voyage à Lyon qu'il découvre le Rhône, qui va tant compter pour lui, « certain que dès ce jour-là, le Rhône est entré en lui. » Au cours de ses tournées, son père lui enseignait ce que Bernard Clavel nommera plus tard « sa géographie sentimentale ».
Son enfance est un pays de rêves, il plane en haut de l'arbre du jardin, suit avec passion les préparatifs de départ d'un voisin, Paul-Émile Victor, faisant « des tours du monde imaginaires. »
Mais le rêve de l'enfance s'éloigne brusquement avec La Maison des autres, roman largement autobiographique sur son apprentissage de pâtissier, dur apprentissage de la vie aussi pour cet adolescent pour qui la ville de Dole avait été liée au bonheur des repas de famille. Vision contrastée de cette ville qu'il décrira dans Le Tambour du bief avec le canal Charles-Quint et ses écluses. À travers une question sur le message que peut véhiculer un roman, c’est L'Ouvrier de la nuit qui répond, celui qui déplore que les intellectuels ne soient pas considérés comme des travailleurs.
Après La Maison des autres, c’est le début de la guerre, chapitre qui commence par cette histoire de Voltaire : « Le soldat tire à genoux, sans doute pour demander pardon de son crime ». La guerre, vieille compagne « qui le hante » dira-t-il en 2005, avec qui il a des comptes à régler : toujours la conviction que la guerre est dans le cœur de l’homme et qu’il faut opérer pour l’éradiquer, en passant comme il l’a fait, par une prise de conscience longue et douloureuse. De l’occupation, il retiendra surtout un grand amour malheureux et, dit-il, « j’ai passé l’essentiel de mon temps à poursuivre des chimères. C’est je crois, ce qui a rendu la vie si difficile à mes proches. »
Il travaille d’arrache-pied et, comme un artisan têtu, remet constamment l’ouvrage sur son chevalet. Ainsi a-t-il traversé le temps de la guerre Celui qui voulait voir la mer, part loin de chez lui, loin de ses parents, à la découverte de la France puis c’est à Castres que Le cœur de vivants va vivre un grand amour. À l’héroïsme du soldat, il préfère le courage, celui qui « consiste à savoir dire non au pouvoir lorsque ce pouvoir nous oblige à des actes condamnables. » Credo pacifiste de celui qui a écrit Lettre à un képi blanc. Ses 'affinités électives' vont vers des pacifismes Romain Rolland, Jean Giono, Jean Guéhenno et Gilbert Cesbron, « un frère pour moi. » Puis ce fut Les Fruits de l’hiver, la disparition de ses parents, lui qui a été « le déchirement de leurs dernières années. »
Après la guerre, il se marie, vit le long du Rhône à Vernaison au sud de Lyon et peint plus qu’il écrit. Il côtoie les gens simples qui lui inspirent plusieurs romans comme Pirates du Rhône ou La Guinguette et le Rhône, ce fleuve qui est aussi pour lui un 'personnage' qui peut être calme ou traitre, mais qui pique aussi de terribles colères comme dans La Révolte à deux sous ou Le Seigneur du fleuve. Peu à peu, il a délaissé la toile pour les mots.
Vernaison, la vie de famille, la société de sauvetage, son travail de salarié, la charge est énorme : le piège pour un écrivain. Bernard Clavel se qualifie lui-même de « menteur-né », ne sachant vraiment plus la part de biographie dans son œuvre et cite Albert Camus : « Les œuvres d’un homme retracent souvent l’histoire de ses nostalgies ou de ses tentations, presque jamais sa propre histoire. »
Quand on lui parle du Rhône, [1] le défenseur de la nature s’insurge contre « les massacreurs de la nature qui, prédit-il, seront à long terme vaincus.» Bernard Clavel connaissait bien 'le prix du temps', écrivant « une pièce radiophonique par semaine, un roman par an, des émissions sur les disques et les livres, des articles pour des revues comme Résonances… » Telles sont ses 'années lyonnaises' de 1957 à 1964, quai Romain Rolland puis cours de la Liberté. Sa culture s’est forgée pendant ces années : « Tout est dans le tempérament mais tout vient aussi des rencontres, de ce que la pratique des métiers et le côtoiement des êtres vous apportent. » « Être romancier, dit-il, c’est porter en soi un monde, et c’est vivre en ce monde beaucoup plus qu’en celui qui vous entoure. » Malgré sa puissance de travail, Bernard Clavel plonge dans la dépression et il faudra l’intervention de son éditeur Robert Laffont pour qu’il arrive à tourner la page.
Le parc Bernard Clavel a été inauguré en octobre 2011 en bordure de Rhône sur la commune de Vernaison. (voir le site Vernaison)
Vues de Chelles et de Brunoy que Clavel a habité quelque temps
Rupture, « l’éternel vagabond » s’installe dans la région parisienne à Chelles de 1964 à 1969, puis à Brunoy. S’il reste fidèle au stylo plume et au papier, le cinéma s’intéresse à lui et achète les droits de Qui m'emporte, et de Le Voyage du père. Terrible déception. Il ne reconnaît rien de ses romans et préférera désormais les adaptations télévisées auxquelles il participe, et la première, L'Espagnol, réalisé en deux parties par Jean Prat et diffusé en 1967, est un gros succès. Parfois même, ses romans rejoignent la réalité, une réalité qu’il apprend bien sûr après coup : il en donne quelques exemples à propos de L'Hercule sur la place ou Le Voyage du père. Sans doute écrit-il d’abord pour exorciser la mort. Il confesse : « Finalement, je me demande si l’on ne crée pas avant tout pour se survivre ». Et puis, il y eut 1968, pas mai 68, mais la consécration : prix Goncourt surtout, mais aussi grand prix de la ville de Paris et prix Jean Macé. À la question classique, « Pourquoi écrivez-vous », il répond : « Écrit-on jamais pour autre chose que pour aller au fond de soi ? » (p. 123)
Retour au bercail : il s’installe dans la maison des abbesses à Château-Chalon près de Lons-le-Saunier où se déroule l’action de Le Silence des armes. [4] C’est l’époque où il écrit Le Seigneur du fleuve, Tiennot, Le Silence des armes et Lettre à un képi blanc. Avec ses deux derniers livres, c’est l’époque de la polémique, au côté des objecteurs de conscience, « j’estime, dit-il, que je n’ai pas le droit de cesser de me battre pour que la justice et la paix s’imposent ». S’il n’a aucun message à transmettre, il ne peut non plus écrire « une œuvre dégagée ». Il se veut comme son ami Roland Dorgelès « anarchiste chrétien ».
Sa nouvelle vie laisse augurer une grande stabilité, mais c’est le contraire qui se produit : début 1978, il s’installe au Québec avec Josette Pratte, Montréal, puis Saint-Télesphore, « je suis un homme d’hiver » dit-il, saison à laquelle il consacrera un album en 2005. Il revient en France à Paris, puis chez un ami à Bruxelles, le Portugal où il écrit Marie bon pain, Paris de nouveau chez des amis pour écrire La Bourrelle. Le périple se poursuit en 1979 dans une ferme du Doubs qu’il quitte en 1981 pour s’installer à Morges en Suisse sur les bords du lac Léman, renouer avec « La lumière du lac », là où en 1985 ce livre a été élaboré (avant de partir en Irlande).
Bernard Clavel se défend d’écrire des romans historiques - Les Colonnes du ciel sont faits de héros 'modernes' et l’histoire aurait pu se dérouler à notre époque, ou de mélanger réalité et fiction. Il précise : « J’ai fini par acquérir la conviction profonde qu’il y a pour l’artiste un droit absolu d’adhérer de plus près à son œuvre qu’aux êtres qui l’entourent. » Cette fois, il ne s’agit plus d’une simple rupture, c’est un second souffle, un homme résolument tourné vers l’avenir ; il a rencontré Josette Pratte, « un grand amour avec qui j’ai des échanges constants ». Quand on lui reproche un certain égoïsme, il répond que le métier d’écrivain est fatalement une longue solitude. Il parle de Harricana, cette rivière du Québec qui coule dans Le Royaume du Nord des gens qu’il a rencontrés, qui sont devenus personnages, recomposés par son imaginaire. Et il conclut : « Vous voyez : une fois de plus, je n’ai rien inventé et j’ai tout inventé ».
Et s’il ne pouvait plus écrire, si on lui interdisait d’écrire, question cruciale : « Je ne vous ai pas attendu pour me la poser, répond-il à Adeline Rivard, il y a près d’un demi-siècle qu’elle me poursuit… » (Morges, février-juillet 1985)
Les petits bonheurs
Les Petits Bonheurs, Doon House hiver 6-87 – Vafflens-le-Château, mars 1999, Éditions Pocket 14/08/2001 – isbn 2-266-10364-4
À travers ce récit, Bernard Clavel part à la rencontre de son enfance, de son passé. Il revoit ses terreurs d'enfant quand la lampe Pigeon de la salle à manger « n'éclairait jamais certains recoins d'où pouvaient bondir des ogres, des loups ou des monstres. » Frayeurs d'enfant qu'amplifie son imagination, visions d'animaux qui peupleront ses livres pour la jeunesse. [2] Sa mère renforce cette tendance, elle qui « appartenait au temps des veillées de contes populaires », née près de Dole dans le Jura où Marcel Aymé devait rencontrer La Vouivre. C'était leur univers, « des personnages de contes… qui vivaient pour elle aussi bien que pour moi », un monde qu'il fera revivre dans ses livres sur les contes et légendes. [3] « Je sais, écrit-il, que c’est dans ces moments-là que sourd ce qui m’a nourri et m’a permis d’écrire ».
Il y décrit le travail de ces humbles artisans aux mains d’or, Vincendon le luthier dont le père de Bernard Clavel conservera religieusement les outils, le père Seguin, cordonnier à l’échoppe qui exhalait des odeurs enivrantes de colle qui chauffait au bain-marie et des cuirs qui trempaient. Le jour où Nini la fille des Seguin, leur parle du Groenland, Bernard Clavel se souvient : « Dès ce jour, ce fut comme si j’avais commencé à préparer mon sac à dos ». Les souvenirs comme le départ sur le Pourquoi pas ? du commandant Charcot du fils Victor, se recomposent et se combinent pour déboucher un jour sur L'Homme du Labrador. « Par nature, par instinct, nous confie-t-il, je me sentais déjà du nord ». Bien sûr, dans ses souvenirs, on retrouve la tante Léa et l’oncle Charles, « ce vieux baroudeur qui avait connu les campagnes d’Afrique et d’Extrême-Orient », héros de son roman Quand j'étais capitaine.
Tous ces récits, la fin tragique de la mère Magnin, les balades dans la vieille auto de la mère Broquin, les amis cheminots de son père, vont s’imprégner dans la mémoire du jeune homme, ‘oubliés’, endormis mais qui alimenteront peu à peu son imaginaire. Bernard Clavel « profitait de leurs propos ». Il vivait avec eux leur vie simple, parfois leurs aventures, « c’est ainsi que je devais me rendre jusqu’à Istanbul dès l’âge de cinq ans à travers les récits d’un autre cheminot : le père Tonin ». Il lui suffisait d’un chêne étêté qui devenait navire de haute mer et il était « tour à tour Christophe Colomb, Vasco de Gama ou Charcot », Robinson Crusoé parfois quand « mon bateau se muait en île ».
Ce vieux chêne qu’il ne soumet à un sévère élagage que sur injonction de son père, a des airs de famille avec L’Arbre qui chante. C’est aussi cette absence de livres chez lui qui l’a marqué, et il se demande « si tous les enfants qui ont vécu leurs jeunes années dans une maison sans livres sont, comme je l’ai été, fascinés par la chose imprimée ». Il gardera des impressions profondes, rémanentes, des impressions de peintre avec ces reproductions de Bosch et de Pieter Bruegel dont ils retrouvent certains traits dans le visage de cette folle entrevue un jour en gare de Chaussin. En peinture, c’est sa tante Léa qui fut son initiatrice, l’aidant à développer ses dons naturels pour le dessin, lui présentant Delbosco, un voisin peintre.
À travers les menues distractions qui étaient autant de petits bonheurs, la joie de la retraite aux flambeaux, titre d’un de ses romans, se dessine L'Hercule sur la place qui doit ressembler à son oncle Paul, coiffeur à Dole. Dole, la ville de sa mère où il allait voir la maison natale de Pasteur et, sur le belvédère, admirer le panorama. Un jour de balade, il découvre, béat, le lac Léman dont il écrira Les Légendes. Nostalgie de l’almanach, nostalgie des textes de Roland Dorgelès, « des bonheurs d’enfants qui peuvent déboucher sur de belles joies d’homme », des extraits de Maria Chapdelaine, « de la neige, de la glace… nous parlions du Canada comme d’un paradis », avant-goût du Le Royaume du Nord. Des quelques livres entrés parcimonieusement chez lui, il dira « c’est d’eux que me vient l’essentiel de ce qui a nourri mes romans ».
Les souvenirs plus récents, c’est le temps de La Grande Patience, l’apprentissage à Dole chez un pâtissier « qui était une brute », c’est le temps des années noires que son ami Jean Guéhenno a si bien décrit dans son Journal, la montée du nazisme et la guerre. « Les hommes sérieux murmuraient, écrit-il. Tout ça ne sent pas bon. Ces nazis sont en train de nous préparer de grands malheurs ». Les Grands Malheurs, titre de son dernier roman.
Les Petits Bonheurs, c’est tout ça, les histoires, la vie quotidienne, les émotions qui l’ont marqué où l’on retrouve toute son iconographie, c’est d’abord une incursion dans ce qu’il appelait « sa géographie sentimentale ».
Écrit sur la neige
Ce livre où Bernard Clavel égrène ses souvenirs, ce qui a fait sa vie et nourri son œuvre, est né d’une série d’interviews recueillis par le journaliste Maurice Chavardès. Il y développe ses conceptions, disant qu'il écrit « pour communiquer mes émotions à mes semblables et pour en provoquer le renouvellement, » que ce métier requiert de la patience pour l'apprendre mais que « ne deviendra romancier que celui qui est né romancier : c'est-à-dire celui qui porte en lui un monde et le désir profond de l'animer. »
Il y évoque son enfance, son univers à Lons-le-Saunier avec ses parents, tout ce qui a disparu depuis, démoli, le jardin bétonné, saccageant ses souvenirs, qu’il ressent comme une blessure. Il revoit ces petits riens qui affleurent à sa mémoire comme la lampe pigeon de sa mère. Il voudrait retrouver les crépuscules d’hiver, le silence qui accompagne cette fuite de la lumière, « il imprégnait les âmes et ce qui pénètre ainsi une âme d’enfant peut à jamais colorer l’existence d’un homme. » Il était alors un rêveur invétéré.
Il y eut d’abord la peinture, cadeau de la tante Léa qui sera son initiatrice. Puis il rencontra à Lons-le-Saunier près de chez lui Roland Delbosco, un peintre-poète qui lui inocule le virus, lui fit découvrir le Rhône à Vernaison où il s’établit pour plusieurs années. Le Rhône, ce fleuve qui hante nombre de ses romans, de Pirates du Rhône jusqu’à La Table du roi. Vernaison [1] est une étape essentielle, il s’y est marié, ses enfants y sont nés, là-bas il s’est colleté à la peinture puis à l’écriture. Là-bas, il fait la connaissance d’un amateur d’art Louis Mouterde chez qui il découvre la peinture de l’école lyonnaise. Ses goûts le portent aussi vers les impressionnistes et la peinture hollandaise, pays où il aime se rendre pour visiter les musées, surtout Rembrandt et Bruegel, le peintre qui l'a le plus marqué dans sa jeunesse.
Bernard Clavel n’aime pas évoquer le contexte de ses romans et des aspects biographiques qu’ils contiennent, « Parler de moi m’agace très vite » dit-il. Sur le métier d’écrivain, ou plutôt ce que « l’individu porte au plus secret de son être sensible », il sait pour l’avoir vécu que « tout vient de la vie », de ce que l’écrivain engrange de 'matière première', expériences faites d’événements et de sensations. « L’art est fait d’impulsions mises en forme. »
Généralement, ses œuvres il les porte longtemps, les laisse mûrir puis s’y invertit totalement jusqu’à oublier le présent et délaisser ses proches. Même s’il y répugne, il évoque la genèse de La Saison des loups, sa visite à Salins-les-Bains et le choc quand il découvre cette guerre oubliée quand la Franche-Comté, humiliée et dévastée, devient française, comment ses personnages l’ont amené à donner une suite à ce premier volume dans La Lumière du lac.
À la question de savoir s’il est un intellectuel, Bernard Clavel répond qu’un homme doit pouvoir changer de métier, lui se verrait plutôt menuisier ou charpentier. Sa vocation, même s’il n’aime guère ce mot, il l’a considère comme un 'bouillon de culture' : « Je suis né sensible, j’ai été élevé par une mère qui l’était, par un père secret… notre entourage d’artisans raconteurs d’histoires m’a impressionné. » Petit, on l’accusait de mentir alors que, dit-il, il ne faisait que « raconter des histoires. »
Son engagement s’est fait peu à peu, de façon naturelle, l’amenant à défendre un humanisme basé sur la sauvegarde de l’homme et de la nature, le recours à la non-violence. Pour lui, « un fleuve, une terre, un vignoble, des forêts sont tellement liés à l’existence de l’homme qu’il me paraît impossible que l’humanité oublie ce lien sans courir à sa perte. » Engagement pour l’écologie et les enfants martyrs, engagement contre l’État guerrier et marchand d’armes. Engagement aussi dans l’affaire Jean-Marie Deveaux ou l’affaire Buffet-Bontemps contre la peine de mort, contre les pratiques policières, l’impéritie de la justice et du système pénitentiaire. C’est un homme en colère qui fustige policiers et magistrats indifférents ou trop répressifs.
Tant que l’injustice sévira jusqu’aux plus hauts degrés de l’État, le problème de la délinquance restera entier. Mais il continuera malgré tout à se battre contre la violence et la haine. « Ma vie est plantée de jalons en forme de clefs », confie-t-il à son interlocuteur. Sa rencontre avec Louis Lecoin en est un. Il écrit dans ses revues Liberté et Défense de l’homme, il participe avec lui à son combat pour le statut d’objecteur de conscience. Son pacifisme remonte à cette nuit d’août 1944, nuit de torture d’un pauvre type qui lui laisse dans la bouche un goût de fiel. C’est le souvenir de cette nuit qu’il utilisera dans L'Espagnol pour peindre une scène semblable. Mais le petit garçon jouait à la guerre et creusait une tranchée dans le jardin de son père : épisode qu’il rappelle à plusieurs reprises et reprend dans son roman Quand j'étais capitaine. Sa rencontre avec le père Maurice Lelong devait aussi l’influencer, évoquant ensemble Romain Rolland, défendant les insoumis et luttant contre la guerre d’Algérie.
Banque des céréales Marche de la paix
Son rejet de la guerre l’amène à publier Le Silence des armes, puis sa Lettre à un képi blanc. Il aura d’ailleurs l’occasion de rencontrer son contradicteur le caporal Mac Seale, « ouvert au dialogue, intelligent, et qui avait fort bien compris mon livre. » Hasard de la vie, il retrouve en Allemagne Hans Balzer, soldat allemand qui pendant l’hiver 1942-43 se trouvait comme lui à la prison de Carcassonne. Immense émotion, surtout quand ils visitent Buchenwald et parlent de leur admiration pour Romain Rolland.
Son engagement, c’est aussi sauver les enfants à travers l’association Terre des Hommes et du livre Le Massacre des innocents qu’il écrit à son profit. Avec Claude Mossé et les medias suisses, il se bat pour les enfants du Bengale, se rend sur place et se bat pour acheminer le maximum de vivres. Il y a certes la violence individuelle, Bernard Clavel sait combien il est facile d’y succomber, combien aussi des jeunes comme les héros de son roman Malataverne peuvent en être victimes, mais la violence d’État est encore la plus pernicieuse. Pour lui, l’arme absolue est la non-violence, la seule utilisable « sans enfreindre aucune loi morale. »
[Voir mon article sur les combats de Bernard Clavel intitulé Droits de l'homme]
Sur le plan littéraire, il reconnaît lire peu de romans et, en matière d’influence note son ami et biographe Michel Ragon, « le rapprochement de tant d’auteurs (une dizaine) signifie qu’en réalité, il ne ressemble à personne. » Le jour où il démissionne de l’Académie Goncourt, il skie dans le Jura avec des amis, « la vraie vie », entre partage et amitié, « nous écrivons toujours sur la neige, note-t-il, le tout est de savoir à quelle heure se lèvera la tempête. »
Les décorations et les prix littéraires ne l’ont jamais intéressé, même s’il a obtenu le prix Goncourt dans des conditions assez rocambolesques auxquelles il est resté totalement étranger. Même s’il a obtenu de nombreux prix, il les juge plus néfastes qu’utiles. Ce qui l’a le plus marqué – et beaucoup aidé – ce sont les rencontres, ses premiers amis avec Delbosco qui, de fil en aiguille, vont lui permettre de devenir l’ami d’écrivains comme Hervé Bazin, Armand Lanoux, Roland Dorgelès, puis Jean Giono et Marcel Aymé. Ses livres lui valent l’amitié de philosophes comme Gaston Bachelard et Gabriel Marcel. Il se montre très critique envers les critiques, dénonçant le côté élitiste ou réactionnel de beaucoup d’entre eux. Mais il pense surtout à d’autres rencontres comme celle de Frédéric Ditis des Éditions J’ai lu ou avec le peintre Jean-François Reymond qui débouchera sur la publication du livre Bonlieu ou le silence des Nymphes.
Lors de ses débuts, Bernard Clavel a beaucoup travaillé pour la radio, excellent apprentissage pour lui à Radio-Lyon. S’il est déçu par les deux adaptations au cinéma (Le Tonnerre de Dieu et Le Voyage du père), il s’enthousiasme pour la télévision et participe à l’adaptation de plusieurs de ses œuvres.
Il a également beaucoup écrit pour la jeunesse car dit-il, « quel bonheur de retrouver un moment de sa propre enfance, rechercher ses propres sources d’émerveillement. » Mais il est difficile de traiter de la réalité en édulcorant les côtés les plus négatifs, en évitant toute violence, à promouvoir de nobles sentiments tels que « la droiture et l’honnêteté » sans pour autant bêtifier.
Si l’attitude de l’Église l’a souvent agacé, si sa recherche de Dieu a toujours été difficile, il a réussi à retrouver la foi. Avec l’âge, il lui semble peu à peu apprivoiser la mort, vouloir une mort plutôt lente avec laquelle il puisse se confronter mais, dans les cas extrêmes, être favorable à l’euthanasie.
Á propos de la Franche-Comté et de ses nombreux déménagements, il admet « être un déraciné » et que c’est un constat très « démoralisant ». Ceci l’amène à développer l’un de ses thèmes favoris : l’écologie, la culture biologique, la défense de la planète et de la biodiversité. C’est aussi le cas précise-t-il pour le Jura où il s’était installé plusieurs années dans le village de Château-Chalon près de Lons-le-Saunier, [4] pollué par l’urbanisation et le tourisme. Pourtant, il pense déjà à l’époque, en 1977, à revenir près de ses racines, « l’essentiel serait seulement que je puisse m’en rapprocher le plus possible. » Il réalisera cette aspiration en 2002 lorsqu’il s’installera dans la commune de Courmangoux [5] dans le Revermont bressan, avant que tout soit remis en cause par la maladie [6] et qu'il décède le 5 octobre 2010 à La Motte Sevolex en Savoie..
[1] Voir ma fiche Bernard Clavel entre Lyon et Vernaison
[2] Voir par exemple, Achille le singe, Akita chien fidèle (pocket junior j372), La Louve de Noirmont (pocket junior j559), La Chienne Tempête (pocket junior j449), Wang, chat tigre (kid pocket j381)
[3] Légendes des lacs et des rivières, Légendes de la mer, Légendes des montagnes et des forêts, Contes et légendes du bordelais, Poèmes et comptines.
[4] Voir Bernard Clavel à Château-Chalon
[5] Voir ma fiche Bernard Clavel à Courmangoux
[6] Note de l'auteur
<<<<< Christian Broussas, Carnon-Mauguio, 5 octobre 2013 © • cjb • © >>>>>